- les grands précurseurs fondateurs de la pensée de la Renaissance islamique ( Al’Afghani, M. Abdou, Alkawakibi, Ali Abderrazik)…..

1°) Jamal Addine Al-Afghani (1839-1897)
La pensée d’Alafghani, s’est formée d’abord comme une rupture par rapport au conservatisme politique et religieux qui régnait depuis la fin du moyen âge dans le monde arabo-musulman, plus particulièrement au sein de la khilafa ottomane.
*Contrairement au orientations ultra-conservatrices de ses prédécesseurs qui présentaient le retour aux sources comme une panacée aux problèmes de décadence des sociétés islamiques ( Ibn Taymya et M. Abdelwahab), elle marque le début d’une véritable méthodologie de pensée posant la double nécessité de sauvegarder l’identité et l’unité de la communauté islamique et d’assimiler les acquis du progrès économique et scientifique de l’occident, suite à la renaissance européenne.
*Il développe un esprit critique à l’égard de la rigidité des Foukahas ( تعصب الفقهاء ) et des abus autoritaires des hommes au pouvoir (بطش الحكام) qui constituaient selon lui des raisons de la stagnation et de l’instabilité de la communauté islamique ;
*Alafghani ne s’est pas contenté de développer des discours sur ses ambitions politiques ni d’occuper en permanence des postes de responsabilité, mais il avait choisi l’action tout en restant en contact avec différent pays ( Iran, Turquie, Egypte, l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan..) pour leur demander d’opter concrètement pour des politiques de réforme sur des bases solides des sociétés concernées et de ne pas céder aux pressions et aux visées colonialistes de l’occident.
*Il avait développé une philosophie de rapprochement entre les peuples, comme il avait tenté de créer un modus vivendi entre les Sunnites et les chiites, dans le cadre de sa pensée prônant l’unité, la complémentarité et la réforme de la pensée islamique.
2°)Mohamed Abdou ( 1849-1905)
*Ouvrage de base : « Rissalat attawhid » (رسالة التوحيد), œuvre théologique de M. Abdou ;
*Après un travail commun avec Alafghani (en tant qu’homme politique et réformiste révolutionnaire prônant l’action, le combat contre la tyrannie des gouvernants et contre le colonialisme), Abdou qui fut son élève, son disciple et son compagnon de combat depuis 1871, va rompre dès la fin des années 1880 avec la méthodologie de travail politique de son maître en optant pour une approche modérée de restructuration de la pensée islamique axée sur les grands volets de réforme qu’il considérait comme essentiels, à savoir :
-La perfection morale (تهد يب إلا خلا ق ) ;
-L’intérêt majeur et primordial attribué à l’éducation
(الاهتمام بالتربية و التعليم )
-La lutte contre l’ignorance ( محاربة الامية ) .
-La réforme (reconstruction) de la pensée religieuse islamique (إلا صلا ح ألد يني )
*Sa nouvelle méthodologie de réforme ( qu’il a développée indépendamment de l’influence de J. A. Alafghani entre 1888 et l’année de sa mort en 1905), se définit comme une conciliation entre le patrimoine religieux, la Raison et les sciences d’un côté, et le patrimoine moral et la modernité telle qu’elle se présente en occident de l’autre, bref une compatibilité entre l’islam et la modernité
*Abdou relève trois volets négatifs qui ont toujours marqué selon lui les pensées et les conduites des musulmans, auxquelles il s’est attaqué avec fermeté et raison :
-L’ espace irrationnel de la pensée islamique développé par l’orientation déviationniste du soufisme (celle des Sheikhs et des voies ésotériques des «tarikas»).
-les activités liées au charlatanisme et à la superstition ;
il s’agit (dans ces deux premiers cas) pour M. Abdou d’une « purification de l’islam des croyances néfastes et impropres»
-Les réflexions et les jugements de dévalorisation effective (إلا حكام التكفير ية الافكار و ), qu’ il considère comme irrationnelles, intolérantes et négatives.
*M. Abdou se présente comme l’homme de la tolérance( التسا مح ) en défendant la liberté de culte, l’admission des mariages mixtes dans le respect de la liberté de pensée et des choix des non musulmans.
Une telle conception élargie de la tolérance qui consiste à « concilier les intérêts de la vie avec ceux de l’au-delà» - ( جمع بين مصا لح الد نيا و الا خرة ), suppose une vision rationaliste de l’appréciation de la vie – ( نز عة عقلا نية للد ين و الحيا ة ) sans sacrifice du bonheur pour le compte des croyances religieuses (الحيا ة مقد مة على الد ين)
*Par rapport à Alafghani, Abdou incarne la primauté du volet fondamental , réaliste et modéré de la réforme de l’Education ( défini dans son sens large, intégrant l’enseignement de base et supérieur), par rapport au volet politique dynamique, combatif et révolutionnaire de son maître .
3°) Abderrahman Alkawakibi (1848-1902) ou la critique systématique des despotismes politique et religieux.
*Contemporain de J. A. Alafghani et de M. Abdou, Alkawakibi a développé une méthodologie de pensée à caractère politique et non juridique (fik’histe), des formes du pouvoir despotique – (أشكا ل و طبا ئع الاستبداد) qui caractérisaient les régimes politiques islamiques ;
*Il avait la particularité et la pertinence de définir la différence de nature et le rapport complexe entre le despotisme religieux - (إلا ستبد ا د الد يني ) et le despotisme politique (الا ستبد ا د السيا سي ) ; ;
*Il considère que le despotisme est la cause majeure de tous les maux dont souffrent les sociétés islamiques en engendrant l’immobilisme et la stagnation ;
*Le remède exclusif au despotisme doit se concrétiser dans une issue politique qui suppose un pouvoir fondé sur l’Achoura et l’élaboration de la Constitution
( حكم المبني على الشورى و لدس تور ) ;
*En optant pour la dénonciation des différentes formes de despotisme politique qui se conjuguent et se complètent avec les formes de despotisme religieux, Alkawakibi se trouve à mi-chemin entre l’orientation d’Alafghani ( qui a toujours dénoncé toute forme de despotisme des gouvernants ainsi que la rigidité des Foukahas), et l’orientation réformiste de la pensée politique et religieuse de Mohamed Abdou, sans qu’il se présente comme l’élève ou le disciple de ces grands fondateurs de la pensée de la renaissance islamique.
*A. Alkawakibi définit et identifie le despotisme(الا ستبد ا د) dans ses différentes formes ainsi que l’absence de l’unité de la communauté islamique comme causes majeures du sous-développement.
4°) Ali Abderrazik ( 1888-1966)
Ouvrage :“L’islam et les fondements du pouvoir »- Paris -1994 ; La thèse de Ali Abderrazik développée dans cet ouvrage a donné lieu à des débats et à des polémiques dans le monde arabo-islamique d’une rare intensité, en raison des arguments suivants :
*Premier argument Le prophète n’avait pas pour mission de transmettre au monde une forme d’Etat , de pouvoir politique ou de gouvernement. La mort du Prophète constitue selon Ali Abderrazik un tournant (rupture) exceptionnellement déterminant, qui donna place à une histoire dynastique où se combinèrent des situations de justice et d’injustices entre les hommes au sein de la société politique et civile islamique.
*Deuxième argument : le système de la khilafat qu’il identifie à une sorte de sultanat (1) n’émane ni de l’héritage coranique ni des éventuelles recommandations prophétiques.
Suite à la mort du Prophète, c’est l’ «Etat arabe» qu’il distingue de l’« Etat islamique », qui a continuellement prédominé par la suite. Il faut noter, que face à cette argumentation, on ne peut trahir la fidélité aux principes de transparence et de justice ainsi que les efforts grandioses d’un Omar ben Alkhattab, ou d’un Ali ben Abid Talib aux vertus exceptionnelles qui avaient essayé avec rigueur et conviction d’innover un modèle idéal islamique de la khilafat en dépassement du despotisme et des emprises aristocratiques arabes pré-islamiques.
*Troisième argument : Ali Abderraziq croit que le rôle du Prophète était strictement limitée à la «mission» ( arrisala). Elle s’est définitivement arrêtée à sa mort. Elle n’est donc pas transmissible.
*Quatrième argument : Ali Abderrazik a défini la laïcité à partir de l’islam en fondant ses investigations sur les textes et l’histoire arabo-islamiques. Il incarne ainsi la première Ecole islamique laïque dont les principes sont compatibles avec les fondements du pouvoir en ISLAM.
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NOTE (1) Ali Abderrazik : «..Par tous les moyens ils ( les Sultans) font croire aux gens, qu’obéir aux imams c’est obéir à Dieu, que leur désobéir , c’est désobéir à Dieu (…) Tel a été le crime des rois et leur tyrannie vis-à-vis des musulmans ; ils les ont détournés du droit chemin (..) au nom de cette même religion, les ont tyrannisés, humiliés, et on interdit l’étude des Sciences politiques. Ils les ont trompés et emprisonné leur raison… », ce qui « provoque une extinction des facultés de recherche et de la spéculation intellectuelle chez les musulmans, qui furent atteints de paralysie en matière de philosophie politique et en tout ce qui touchait au califat et aux califes.. » « Rien dans la religion, n’interdit aux musulmans d’entrer en compétition avec les autres nations dans les sciences de la société et de la politique…Rien ne leur interdit..d’édifier les règles de leur royauté et l’ordonnance de leur gouvernement conformément à ce que les esprits humains ont inventé récemment, et que les exigences des nations ont démontré être ce qu’il y’a de plus solide en matière de bons principes de gouvernement » - Ali Abderrazik
(in : « الحكم الاسلام وأصول» « L’islam et les fondements du pouvoir »)
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