ISLAM et paradoxes de la liberté d'expression en France: les déviations de la pensée des Lumières
Précisions d’ordre méthodologique sur les paradoxes de la liberté d’expression en France : l’avènement de la pensée totalitaire anti-islam
Pour plus de clarté sur cette problématique complexe intégrant le rapport entre la préservation de la liberté de pensée et la gestion du système de croyance de l’islam au sein de la société française, nous devons nécessairement rappeler que les principes orthodoxes de la laïcité qui incarnent depuis l’origine la pensée de la tolérance par excellence ne se présentent en aucun cas comme un totalitarisme d’exclusion et de mépris à l’égard des systèmes de croyance des autres.
Les défenseurs de cette pensée totalitaire islamophobe, se contredisent avec les «valeurs» et les discours politiques qu’ils défendent au triple niveau des dispositions nationales et internationales, à savoir :
1- Contradiction par rapport à la Décision de Conseil des Droits de l’Homme N° 18/16 contre l’incitation à la haine, à la discrimination et à la violence liée à la croyance et à la religion :
(قرار مجلس حقوق الانسان الخاص بمكافحة التحريض على الكراهية والتمييز و العنف بسبب الدين والمعتقد) ,
ainsi que par rapport à la Décision de l’Assemblée Générale de l’ONU N° 224/65 concernant l’interdiction de toute injure liée aux religions :
( (قرار الجمعية العامة للامم المتحدة بشأن منع الاساءة للاديا ن ;
2- Contradiction par rapport à la définition de la «diffamation» ou de l’«injure» tel qu’il est défini par le droit français ;
3- Contradiction par rapport à la vision française de l’«identité nationale» que la classe politique croit défendre d’une manière xénophobe par rapport aux «étrangers» !
*Le droit français émet très clairement une définition fondée sur la double nécessité de préserver la liberté de pensée et d’expression d’un côté, et de sanctionner toute forme d’injure à l’égard des personnes de l’autre !
La diffamation ou l’injure est établie au cas ou une expression écrite ou verbale porterait atteinte à des personnes et non à des idées (d’ordre philosophique, politique ou religieuse) en générant une dévalorisation ou un mal matériel ou psychologique, plus particulièrement quant il s’agit d’une atteinte (faisant objet d’une plainte) non fondée ou injustifiée..Dans le cas d’espèce, Une première étape de raisonnement conduit à définir le Prophète non pas comme une personne mais comme un symbole spirituel ( qui s’identifie à la religion de l’islam qu’il représente !) :
L’argument des xénophobes laïcistes s’arrête à ce premier niveau de raisonnement en revendiquant le droit de critiquer une religion ( comme le prévoient aussi bien l’un des principes de préservation de la liberté de pensée que l’une des dispositions de la loi !)
Or, comme l’exprime à juste titre l’un des proverbes arabes, s’arrêter à ce niveau de raisonnement, c’est opter pour le principe partiel et inachevé dit « maudit à ceux qui accomplissent la prière.. – ويل للمصلين-», sans achever la totalité de l’expression de principe dite : «maudit à ceux qui accomplissent la prière en l’abandonnant » –(« ويل للمصلين الذين عن صلا تهم ساهون-») !
Plus précisément, il y’a nécessité logique d’intégrer à ce raisonnement inachevé les croyants musulmans en tant que personnes qui portent le prophète dans leur cœur en tant que symbole suprême de leur spiritualité et en tant que modèle idéal de justice et de haute moralité, et qui subissent non pas seulement les effets psychologiques très négatifs d’une telle atteinte, mais ressentent un sentiment d’humiliation à l’égard de leur culture et de leur croyance, voire de leur identité !, en ce sens que le mal (ou dévalorisation subie) est établi au double niveau psychologique et moral des croyants en tant que personnes !
*Ce qui constitue le grand paradoxe dans le discours ( essentiellement extrême-droitier ) tenu par l’ensemble de la classe politique française au-delà de leur négation des croyants musulmans en tant que personnes, est la non reconnaissance de l’identité des musulmans qui s’incarne dans le symbole hautement spirituel et culturel du prophète, alors que les hommes politiques ne cessent de réclamer haut et fort la nécessité de préserver une certaine «identité nationale» par rapport (encore une fois) à l’invasion supposée de leur pays par l’islam !.
En effet, le discours identitaire (réellement xénophobe et négationniste) à la mode depuis quelques années en France (consolidé plus particulièrement avec l’arrivée de Sarkozy à l’Elysée et la montée en puissance du Front National), semble prédominer les espaces politiques et médiatiques français au point de générer des distensions graves entre les musulmans et les non musulmans et entre musulmans français et musulmans non français !.
Nous considérons de notre côté que ce sont ces contradictions flagrantes à caractère islamophobe qui poussent les jeunes immigrés marginalisés et déshérités ( en liberté et dans les prisons) à rejoindre les organisations intégristes islamistes radicales, voire même à se porter candidats au jihad incarné par Elkaïda ou l’Organisation de l’Etat Islamique ! ( les frères Kouachi et Coulibany en constituent les meilleurs exemples).
Autre syndrome à caractère schizophrénique des campagnes médiatiques et des discours politiques : Il s’agit de l’inégalité de traitement des deux questions centrales qui divisent les français, à savoir l’antisémitisme et l’islamophobie !
A ce niveau problématique, sauf l’espace de l’islam est exclu de la rationalité des Lumières et des valeurs de la République laïque dans un pays qui a toujours incarné les droits de l’homme et l’ouverture sur les cultures et civilisations !
Le droit français aurait pu mettre fin définitivement à cette mascarade qui dure depuis des années en France, au lieu d’innocenter les journalistes ignorants et sans scrupules qui n’hésitent pas à incomber bêtement au prophète (à travers des dessins vulgaires) la responsabilité de la montée du soit disant «intégrisme terroriste islamique» dans le monde.
Autres précisions, ce n’est pas la nature humoristique des dessins qui posent problème à la communauté musulmane, puisque l’humour est toujours admis par tous y compris quant il s’agit d’exprimer des plaisanteries sur les religions et les prophètes. Mais plutôt l’image d’un personnage à caractère terroriste dégagée instantanément par les caricatures ( une sorte de falsification de la réalité) qui génère des sentiments d’humiliation et de violence au sein de la communauté musulmane !
Plus précisément, toutes les caricatures élaborées présentent le prophète avec une barbe d’intégriste, des expressions de violence à travers la déformation de son visage impassible et des fusils implantés dans ses cheveux à l’image du «terroriste» prêchant le mépris et la violence ! Les caricatures ne constituent pas seulement des injures à l’égard des musulmans en tant que personnes, mais une falsification de la réalité de l’islam qu’elles identifient à une religion ne générant exclusivement que de la haine et de la violence à travers l’image déformée et méprisante dégagée instantanément par les dessins présentés sur le prophète. Nous sortons ainsi de l’espace de la liberté d’expression ( domaine des idées) pour entrer dans l’espace de la provocation (domaine des personnes et de leur identité).
Le caractère totalitaire de la pensée politique occidentale a fait pourtant l’objet de critique méthodologique par les grands philosophes dits postmodernistes qui dénoncèrent fermement les déviations engendrées par la défense systématique et unilatérale d’un rationalisme volontariste occidental ( tels que le colonialisme, le fascisme et l’antisémitisme) qui s’expriment à l’heure actuelle au sein de la société civile et politique française dans sa nouvelle forme islamophobe !
Parmi ces critiques, il faut rappeler les thèses incarnées en premier lieu par les recherches de Jean François Lyotard qui rejoignent les thèses de M .Heidegger et F. Nietzsche ( critique de la «volonté de puissance» rationaliste occidentale qui s’est érigée en une dictature idéologique et politique à l’encontre des cultures des peuples non européens) ;
Sur le plan économique, Marx avait soulevé aussi les effets négatifs et aliénants de l’impérialisme européen sur les nations anciennement colonisées à l’occasion de l’expansionnisme du capitalisme mondial!).
De même que des auteurs célèbres tels que M. Foucault et J. Derrida ainsi que celle de Vattimo ( qui annonce la fin de la suprématie européenne), s’inscrivent dans cette perspective méthodologique, à l’instar de thèses de Théodore Adorno prônant le post-rationalisme…
Malgré le caractère dramatique et condamnable de l’attaque perpétrée contre Charlie Hebdo, les mass médias continuent de «jeter de l’huile sur le feu» : Pas une seule émission de télévision française qui anime un débat sur le problème du «terrorisme » et du «jihadisme» islamiques ne fait preuve de sagesse et de respect à l’égard de 1,5 milliards de musulmans qui éviterait l’amalgame entre «terrorisme jihadiste» et islam ! Plus précisément, au sein d’une même émission donnée, l’intelligentsia française trouve tout à fait normal de passer d’une discussion sur les violences engendrées par le «terrorisme jihadiste» à un commentaire sur l’islam en tant que système de croyance (que grande religion monothéiste), et ce, sans acquérir la capacité de nommer les choses par leur nom, à savoir la confusion flagrante entre islam en tant que système de croyance et l’intégrisme salafite en tant qu’expression politique historiquement constitué !
Ils doivent au moins atténuer l’imperfection gravissime (source de tous les malentendus) de la pensée politique et médiatique occidentale opposant la «civilisation» à la «barbarie» !, alors que c’est la politique discriminatoire occidentale dans le monde arabo-islamique ( particulièrement depuis l’invasion barbare américaine de l’Irak) qui génère de plus en plus des réactions violentes islamistes, qui s’ajoute aux dérives d’une gestion locale et sécuritaire d’exclusion , de stigmatisation et de discrimination exercée dans les prisons et les quartiers insalubres des banlieues autour des grandes villes françaises à l’encontre des jeunes immigrés sans travail et sans formation, voire sans espoir ! (extrait de notre livre: "le guide du musulman contemporain, l'islam et les valeurs humaines de la modernité"-)
*la pensée politique occidentale entre le rationalisme des lumières et le dérapage unilatéral des médias et des politiques français…
Sans définir ici les différentes orientations de pensée philosophique qui fonde le développement séculaire, nous nous contentons de citer le texte suivant de Celoso FURTADO qui résume l’essentiel de ce type de développement qui fait la fierté de l’occident depuis l’avènement du capitalisme industriel et sa domination sur le monde :« Les racines de la notion de développement, peuvent être détectées dans trois courants qui on jailli de la pensée européenne à partir du XVIIIème siècle. Le premier de ces courants procède de la Philosophie des Lumières avec le concept de l’histoire comme une marche progressive vers la suprématie de la raison. Le second est lié à l’idée d’accumulation de richesse, pour laquelle l’avenir est implicitement porteur d’une promesse de plus grand bien-être. Le troisième, enfin, se rattache à l’idée que l’expansion géographique de la civilisation européenne représente, pour les autres peuples de la Terre, considérés comme des « retardés » à des degrés divers, l’accès à des formes supérieures de vie. L’apparition, au XVIIIème siècle d’une philosophie de l’histoire - vision sécularisée - du devenir social assume avec l’Aufklàrung la forme de la recherche d’un «sujet» dont l’essence se réalise à travers son propre processus historique. Les facultés attribuées par Kant à la conscience du sujet transcendantal constituent le point de départ d’une vision globale de l’histoire, celle de la transformation du chaos en ordre rationnel. Avec Hegel, l’humanité assume le rôle du sujet, comme entité qui se reproduit selon une logique qui pointe dans la direction du « progrès ». Cette vision optimiste du processus historique, qui permet d’entrevoir le « futur possible » sous la forme d’une société plus productive et moins aliénante »(in « l’Internationale des Sciences Sociales » – UNESCO- 1977 )
Il est à préciser, que ce volontarisme rationaliste des Lumières, sera rompu et remis en cause par les thèses dites « post-modernistes » (dont les instigateurs furent F. Nietzsche et Heidegger), en raison des dérives politiques et idéologiques qu’il a engendrées, telles que : les génocides colonialiste et fasciste !
* Le deuxième volet du modèle de développement occidental s’est concrétisé progressivement avec l’avènement et l’adoption de la Laïcité, dont nous présentons les étapes historiques importantes et les principes orthodoxes suivants :
- Première étape : La « libération de la Raison » ( تحرير العقل ) des autres dimensions de réflexion d’ordre confessionnel ou liées aux systèmes de croyance etc. ayant conduit à écarter par conséquent l’église de la gestion politique et sociale de la nation;
- Deuxième étape : Le contrat social ( العقد الا جتماعي ) ayant imposé à l’Etat l’obligation de garantir l’égalité de tous devant la Loi et de veiller sur le respect des droits de l’Homme et dont la légitimité émane exclusivement de la volonté du peuple, engendrant ainsi une nouvelle conception de la Liberté de l’homme tributaire du respect des obligations civiques que ce contrat engendre et implique ;
- Troisième étape : La valorisation de l’Individu ( dans le cadre de libéralisme) pour l’élargissement de son espace des libertés politiques, économiques et culturelles, engendrant effectivement le respect absolu de la liberté de pensée et d’expression ;
- Quatrième étape : La libération de l’Etat ( تحرير الدولة ) par l’adoption de la laïcité dans son sens large et originel, comme consolidation finale des trois premières conditions de la Renaissance, assurant d’une manière permanente le développement séculaire, la sauvegarde de la liberté de pensée et de culte, l’élargissement des espaces de liberté et de création .
Le blocage de toute conviction de compatibilité entre islam et démocratie assure sa permanence grâce au malentendu crée artificiellement dans le cadre de la confrontation des deux intégrismes (« islamiste » et « laïciste » ), loin des fondements du pouvoir de l’islam et des principes politiques de la laïcité elle même.
Une telle confusion s’exprime dans la banalisation de la religion (exclusivement islamique ), ayant conduit à des dérapages et à des déviations graves sous sa forme médiatiquement bien gérée de l’islamophobie (particulièrement en France et aux Etats Unis ).Les arguments théorique et méthodologique et non idéologiques originaux qui militent en faveur de la laïcité telle qu’elle est issue de l’esprit de la Déclaration des Droits de l’Homme ( 1789 et 1948) en dehors des dérapages médiatique et islamophobe actuels, sont :
1- La laïcité veut dire : l’exclusion de tout privilège accordé par l’Etat à un système de croyance ou à une conviction confessionnelle . L’Etat procure ainsi une neutralité effective et réelle en tant qu’ entité juridique (gérée et définie par la Loi ) qui exclut toute suprématie d’une confession par rapport aux droits des citoyens;
2 - La laïcité ne s’oppose pas à la religion (contrairement à l’intégrisme laïciste), elle se définit et se présente fondamentalement comme un système de pensée philosophique et politique qui sauvegarde en principe la liberté de culte ( en préservant le caractère sacré, spirituel et spécifique de la religion comme étant un domaine non soumis aux lois de l’évolution et de l’extension ), au même titre que la liberté de pensée, des règles nécessaires de gestion de la différence vis-à-vis de l’autre et de l’acceptation de l’autre.
3 -La laïcité définit l’Etat comme entité neutre « sans pensée», c'est-à-dire, qui n’est ni religieux ni non-religieux, tout en étant soumis à l’obligation déontologiquement définie dans le cadre de la sauvegarde des droits de l’homme, à savoir la liberté de pensée et de culte.
Cette liberté parrainée par l’Etat, ne fonctionne donc que dans l’espace de la société civile.
De ce fait, dans les cas laïcistes extrêmes ( exemple de la Constitution française), l’Etat étant « non penseur», il ne finance et ne subventionne aucune activité (ou institution) religieuse.
4°) La laïcité tout en étant une pensée de défense des libertés, est un bouclier contre tout dérapage à caractère xénophobe et discriminatoire à l’égard des cultures et des religions des autres.
Il Faut rappeler que l’article 31 de la loi de 1905, prévoit des sanctions contre toute personne qui interdit au autres de croire ou de ne pas croire…Au-delà de ces principes, la démocratie moderne combine la neutralité de l’Etat et l’égalité de tous devant la Loi, avec les principes des droits de l’homme, en dehors de la xénophobie et de l’islamophobie.