samedi 15 septembre 2018




La première phase d’indépendance : De la décapitation de l’Armée de Libération جيش التحرير- au coup d’Etat institutionnel contre le programme du Mouvement National

Précisions hautement significatives sur les enjeux complexes du traitement politique de l’«Armée de Libération» –جيش التحرير- (1957-1961) :

Il faut préciser de prime abord qu’au cours de la dernière décennie du Protectorat (1946-1956), trois grands mouvements de nature politique différente luttaient pour l’indépendance du pays :
-Le Mouvement exceptionnellement ambitieux et futuriste qui était parrainé par Abdelkrim Alkhattabi en tant que chef de l’ensemble des fractions de résistance qui luttaient pour l’indépendance et l’unité du Grand Maghreb. Il demeura le chef incontesté de ce Mouvement après sa libération (du bateau français qui le transportait de Madagascar vers la France au port du canal de Suez) par un commando de la Résistance . Il demeura l’hôte distingué et honoré de Jamal Abdennasser jusqu’à 1960. Il reprocha à Allal Elfassi et à Bourguiba d’avoir trahi leurs engagements pour la libération de l’ensemble des territoires nord africains (y compris l’Algérie, les villes côtières marocaines, tout le Sahara, les Iles Canaries etc.), en acceptant de signer des accorts séparés d’indépendance (du Maroc et de la Tunisie) avec la France, sans se soucier de l’avenir et de l’unité du Grand Maghreb…
- Le deuxième grand Mouvement était constitué du Parti de l’Istiqlal avant son éclatement qui donnera naissance à l’UNFP en tant qu’aile gauche du Parti. Celle-ci était incarnée plus particulièrement par des personnalités éminentes de l’histoire contemporaine du Maroc, tels que Ben Barka, Abdellah Ibrahim et Abderrahim Bouâbid.. D’autres forces politiques luttaient pour l’indépendance en dehors du Parti de l’Istiqlal, tels que l’ex-parti communiste ( devenu PPS de Ali Yaâta) et le Mouvement Populaire fondé par Ahardane et Alkhatib.
- Le troisième grand Mouvement était formé de différentes personnalités politiques, religieuses et militaires qui agissaient pour reproduire et assurer un équilibre entre les intérêts de la puissance coloniale et la préservation du statut de Mohamed V en tant que chef exclusif du mouvement national d’indépendance.
C’est ce Mouvement ultraconservateur consolidé autour du prince héritier Moulay Elhassan qui gagnera la bataille politique du processus d’indépendance grâce notamment à la création des services de renseignement du ministère de l’intérieur et des Forces Armées Royales en tant que nouvelles structures de répression du nouveau Etat Makhzen. Il réussira progressivement entre 1958 et 1961 à écarter manu militari toutes les autres fractions radicales de l’Armée de Libération et les leaders de l’aile gauche du parti de l’Istiqlal.
L’Armée de Libération a subi (au cours de la première période d’indépendance -1956-1961- (sur l’ensemble du territoire du pays) un traitement discriminatoire et éliminatoire de la part des différentes élites politiques au pouvoir (aristocratie politique formée autour du prince héritier Mlay Elhassan) et en dehors du pouvoir (dirigeants ultraconservateurs du parti de l’Istiqlal avant sa scission).
Nous nous contentons ici du traitement subi par la plus importante et la plus déterminante d’entre elles, à savoir l’Armée de Libération du Rif-Gzannaya qui fut dirigée principalement par Abdelkrim Alkhattabi à partir de l’Egypte avec l’aide du FLN algérien (grâce au rôle historique de Boudiaf et de Ben Bella) .
Il s’agit de l’axe de combat qui prit sa source au Caire avec l’initiative historique de Abdelkrim, par l’intermédiaire des deux fondateurs incontestés de l’Armée de Libération du Rif (Abdellah Senhaji et Abbass Lamsaâdi), avec l’aide des organisateurs locaux de la lutte armée des tribus Gzannaya (Châaib Laghmarti, Abderrahman Laghmarti, Aâyyad Laghmarti, Alghabouchi, Azzaki pour ne citer que les plus actifs d’entre eux), pour se terminer par le grand stratagème dit «Triangle de la Mort» qui poussa inéluctablement l’armée française à entamer son retrait définitif du pays.

Il faut préciser (à contre courant de l’histoire officielle), que cet axe de combat fut géré et organisé en dehors de la problématique politique qu’engendra l’exil forcé du Sultan Mohamed V. Plus précisément, la libération du Sultan ne faisant pas partie des revendications explicites ni des objectifs essentiels du Mouvement, tel qu’il fut parrainé par Abdelkrim Alkhattabi.
Le célèbre et charismatique historien et écriavain (ami du Maroc) Jean Lacouture avait vu juste quant il affirmait : "Mohamed V à l'instar du PCM avaient pris le train en marche"(tout un programme politique et historique).  
La récupération politique et la neutralisation de l’aile modérée de l’Armée de Libération du Rif par l’Etat Makhzen (à l’instar d’autres fractions nationales de résistance), ne devinrent effectives qu’après le retour du Sultan de l’exil et la création des Forces Armées Royales.
Le parti de l’Istiqlal (encore uni au lendemain de l’indépendance) a largement contribué à l’affaiblissement et à la mise à mort politique de l’aile radicale de l’Armée de Libération.
Les éléments irréductibles de l’AL furent emprisonnés, torturés, voire assassinés (cas de l’assassinat de la figure historique Abbas Lamsaâdi est hautement significatif) par les nouveaux services de renseignements de l’armée et du ministère de l’intérieur du premier gouvernement du Maroc indépendant. Même Ben Barka (étant président du Conseil Consultatif) avait lui-même tenté de jouer le rôle de médiateur entre le pouvoir, le parti de l’Istiqlal et les dirigeants de l’Armée de Libération en vue de déposer les armes contre quelques miettes de dédommagement. Il eut été malmené et renvoyé bredouille par les combattants de Libération de Gzannaya lors de sa visite à Aknoul à la veille de l’assassinat de Aâbbas Lamsaâdi à Fès. Une telle coïncidence donnera l’occasion aux agents du Ministère de l’intérieur de créer un lien de cause à effet entre la visite de Ben Berka à Gzannaya et l’assassinat du leader de l’Armée de Libération du Rif.
Il faut noter que Ben Barka aura le courage de faire son autocritique en reconnaissant au moins deux erreurs politiques mortelles commises par l’aile gauche du parti de l’Istiqlal dont il faisait parti :
1- Il avoua que les conditions dans lesquelles fut signé le traité d’indépendance d’Aix-les-Bains n’étaient pas favorables au Mouvement National, mais assuraient uniquement la reproduction des intérêts de l’ancien colonisateur tout en consolidant la reproduction de la bourgeoise et de l’aristocratie issues de la colonisation (NOTE 1); 

2- L’attitude des dirigeants du Mouvement National à l’égard de l’Armée de Libération au lendemain de «l’indépendance formelle», n’honorait en rien les principes et les objectifs pour lesquels ils ont mené la lutte et le combat pour l’indépendance.
Effectivement, six années seulement après l’indépendance, la plupart des dirigeants de l’Armée de Libération seront marginalisés et emprisonnés, voire systématiquement assassinés.
Concernant l’Armée de Libération (جيش التحرير), elle eut été structurée en deux fractions en fonction de la nécessité de la reproduction du nouveau Etat Makhzen et non suivant les objectifs légitimes qui avaient été fixée à la lutte pour l’indépendance :
-Le noyau dur de l’Armée de Libération constitué d’éléments ayant sacrifié leurs biens et leur vie pour un modèle de société plus juste et plus libre tout en aspirant au développement et à la démocratie. Il fut incarné par des hommes de dignité et d’honneur tels que Abdelkrim Alkhattabi, Abdellah Senhaji, Aâbbas Lamsaâdi, les frères Laghmarti et tous les guérilléros qui formaient la base de cet héroïque armée populaire.
Ce noyau a été décapité entre 1957 et 1961 grâce au nouvel appareil répressif qui dépendait du ministère de l’intérieur et de la nouvelle force armée royale et écarté définitivement des sphères du pouvoir ( à l’instar de l’aile gauche du parti de l’Istiqlal formant l’UNFP) grâce au coup de force institutionnel de 1961;
-La deuxième fraction de l’Armée de Libération était constituée des anciens combattants modérés. Ella a été neutralisée grâce aux opérations de dédommagement et au programme d’intégration aux forces de sécurité et aux Forces Armées Royales.
Suite à ce coup de force, les dirigeants de gauche les plus importants tels que Ben Barka, Fkih Albasri, A. Youssoufi seront condamnés à mort pour subversion. Ils seront contraints de quitter le territoire national, alors que Ben Barka sera enlevé en octobre 1965 par des agents corrompus des services secrets français avec la complicité du Mossad Israélien conformément aux directives du pouvoir charismatique marocain. Et l’affaire Ben Barka deviendra l’une des affaires les plus médiatisées de la deuxième moitié du 20ème dans le monde.
Dès 1961, le programme ambitieux de développement économique et de formation de la démocratie du peuple qui fut initié par le Mouvement National sera abandonné sine die par les instigateurs du coup d’Etat institutionnel qui fut dirigé par le principe héritier Mlay Elhassan avec la complicité des élites de l’armées et des aristocraties politiques et religieuses issues du protectorat. 

L’Etat-Makhzen sera ensuite réaménagé progressivement (jusqu'à aujourd’hui) en fonction de la stabilité et de la reproduction du régime monarchique en alliance avec les «groupes de pression» (formés autour d’une poignée de familles) qui auront le monopole de bénéficier des opérations de marocanisation et de privatisation et sauront comment exploiter les profits générés par le secteur privé et les programmes de développement publics, tout en maintenant durablement une emprise quasi-totale sur l’épargne et les revenus de l’ensemble des marocains de la classe moyenne et des couches populaires de la fin du 20ème siècle et de ce début du 21ème siècle !.
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(NOTE 1) Ben Barka : 

« La grande bourgeoisie mercantile, qui tient tout son pouvoir de la politique économique libérale, se sent tout d’un coup solidaire de la présence coloniale, dès qu’elle ne ressent plus les méfaits de la prépondérance politique de l’impérialisme. Elle s’oppose plus farouchement à toutes les tentatives de diriger la politique économique vers une indépendance réelle.. »
( in : les exigences des mouvements de libération nationale –Rapport à la Conférence des peuples africains-, Tunis, janvier 1960 )-

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