- Les armées des alliés impérialistes face aux guérilléros de la «République des Tribus Confédérées du Rif»
(جمهورية القبا ئل الريفية المتحد ة ( de Mohamed ben Abdelkrim Alkhattabi

A partir de 1924, la résistance la plus organisée et la plus redoutable pour les armées française et espagnole fut incontestablement et probablement celle incarnée par Abdelkrim dans le Rif au Nord du Maroc, qui, après avoir infligé
une grande défaite à l’armée espagnole (vingt mille morts + perte de tout le matériel de guerre au cours de la bataille d’Anoual), créa la «REPUBLIQUE DES TRIBUS CONFEDEREES DU RIF» (جمهورية القبا ئل الريفية المتحد ة (, un Etat organisé doté d’institutions centrales, locales et régionales .
Avec l’avènement de cette crise profonde du système politique marocain, la lutte de la paysannerie contre le pouvoir central, devint pour les chefs des Qbila, une lutte inséparable de la lutte contre le colonialisme , qui devrait conduire à l’établissement d’un nouvel Etat démocratique alternatif à la nature ancestrale de l’Etat-Makhzen, et soucieux du maintien de l’authenticité et de l’accès à la modernité : Cette vision fut incontestablement développée et mise en pratique sur le terrain par le grand résistant et réformiste Abdelkrim Alkhattabi.
Abdelkrim fut l’exemple des chefs de tribus qui avait réussi à prouver par son organisation, aussi bien aux colonisateurs qu’au pouvoir central, que les communautés paysannes étaient capables de gérer elles-mêmes et démocratiquement leurs affaires économiques, politiques et militaires. Il a surtout porté un coup dur à l’idéologie colonialiste, qui, en sous-estimant l’héritage politique des Qbila berbères, a toujours réduit leur lutte contre le despotisme du makhzen et les menaces étrangères à un simple « conflit d’intérêts » entre les chefs de tribus ou à une forme d’ «anarchie».
A propos de l’organisation interne de la République rifaine, P. Sémard écrit en 1926 :
“La République du Rif est une région très montagneuse.... habitée par une douzaine de tribus dont une des plus importante est celle des Bani-Ourieguel… La population totale est d’environ trois millions d’habitants. La capitale est Ajdir… Le Rif est organisé sur le modèle des Etats démocratiques. Abdelkrim a le titre d’Emir, c'est-à-dire du Président du Rif. Chaque tribus à sa tête une Douma qui est élue par l’assemblée des habitants. Le pouvoir exécutif appartient à un conseil des ministres qui siège à la capitale d’Ajdir. Le pouvoir législatif est confié à une assemblée de 80 députés (Nouwabs), élus directement par les tribus et qui siègent également à Ajdir. Ses décisions ont forme de lois et doivent être appliquées par le conseil des ministres. A la tête de chaque tribu, il y a un « caid » et un « cheikh » à la tête des fractions de tribus.
Celui-ci est assisté par une assemblée locale élue au suffrage universel. Les caïds sont contrôlés par six délégués choisis et responsables devant le ministre de l’intérieur. La justice est rendue par le caïd dans chaque tribu. Les impôts sont annuels et de deux catégories :
- Les “Gharibas“(taxe par tête) payée par tous, sauf par les indigents et les blessés de guerre;
- Le “Tijane-El-Abbès“, véritable impôt sur le revenu qui prélevait en espèce et en nature 5% des revenus.
Enfin, le service militaire était obligatoire pour tous les hommes valides de 18 à 50 ans. “
A ajouter à cette organisation cohérente, les relations diplomatiques avec certains pays (la Grande-Bretagne avait déjà prévu des relations diplomatiques avec la République sur cette base, et même des accords sur l’exploitation des mines du Rif), et le lancement par Abdelkrim des réformes agraires et religieuses etc.. Pour Lyautey cet Etat ne devait pas coexister avec l’administration du protectorat français. Il a même prévu que : « la guerre avec Abdelkrim était inévitable, soit qu’il attaquera ou non“.
Lyautey portait son choix sur deux régions qu’il considérait comme « vulnérables de la République » : il s’agit d’abord de la tribu de Beni Zeroual pour lancer son offensive, et qui sépare les tribus de Jabla de celles du Rif. Abdelkrim qui avait vite compris la stratégie de Lyautey, occupa les Béni Zeroual malgré la présence du matériel français dans cette tribu.
Le choix de l’autre région fut porté sur le Sud des tribus de Gzennaya dit Haut Msoun ( front sud ), où l’armée française avait installé une base arrière et un état major au village d’Aknoul (sous l’autorité du caïd Médbouh), pour contourner les tribus alliées et les troupes de la République, par la double voie d’accès d’ Ajdir-Boured et de Tizi Ouzli ;
Lyautey poussa celui-ci à ouvrir l’attaque des troupes françaises sur les tribus voisines de la République. Suite à ces menaces, Abdelkrim avait même protesté par lettres auprès des autorités françaises, et préférait reculer de plusieurs kilomètres sans ouvrir une offensive contre cette armée du sud qui avait tenté en vain de prendre en otage des tribus Gzennaya qui ne partageaient pas non plus la politique d’alliance avec le colonisateur du caïd Médbouh. Il faut rappeler que celui-ci avait refusé auparavant de rejoindre l’armée de résistance du nord, contrairement à Moulay Mohand Ababou(Mlay Masoûd) qui n’avait pas hésité à répondre positivement à la demande d’Abdelkrim d’intégrer les tribus de Boured et des Béni Âssem à sa jeune République.
Après les intimidations et les menaces sans cesse répétées de Lyautey, Abdelkrim décida d’ouvrir l’offensive du coté de Béni zeroual, pour occuper plus de cinquante centres français et placer ses troupes à une cinquantaine de kilomètre en prévention de l’attaque française tout en reportant l’occupation de Taza et de Fès.
Ce recul (par rapport à Taza et Fès) constituait selon les français eux-mêmes, la grande erreur stratégique de Abdelkrim puisqu’ il avait facilité la progression des troupes françaises sur le territoire qui entourait la République à partir du sud et du sud ouest du Rif.
Il est à préciser que la préparation de l’attaque contre Abdelkrim qui avait suscité beaucoup de divergences au sein même de l’Etat-major (surtout entre Pétain chef des armées françaises pendant la première guerre mondiale et Lyautey ) sur la stratégie qu’il fallait entreprendre, ce qui avait incité le gouvernement de Paris à internationaliser la question rifaine et à donner au conflit engagé contre la République du Rif, un caractère de « grande guerre ».
· Selon des informations fournies au cours du Colloque organisé à Paris sur la « République du Rif », les effectifs militaires espagnols et français étaient composés comme suit :
· « Effectifs français :
· * 100.000 au départ et puis 160.000 hommes ( Lyautey les renforce de trois bataillons d’Annamites)
· *On passa ensuite à onze divisions avec l’utilisation massive ( et fratricide ) des « supplétifs » marocains ;
· * 42 généraux ;
· En 1925, les français alignaient :
· * 325.000 hommes des troupes régulières et 400.000 supplétifs, soit 32 divisions ;
· 60 généraux et le maréchal Pétain
· Nombreuse artilleries ;
· 44 escadrilles d’aviation ;
· ( Tous ces chiffres ont été remis le 1er Juin 1956, à la tribune de la Chambre des représentants françaises et n’ont pas été démentis) ».
· A cet arsenal digne d’une guerre mondiale, s’ajoutent le matériel militaire et les armées espagnols.
Il faut préciser que malgré cette mobilisation exceptionnelle contre Abdelkrim , les chefs d’Etat major ( dont le maréchal Pétain ministre de la défense français au cours de la première guerre impérialiste), avaient du mal à s’entendre sur la stratégie qu’il fallait définir pour pénétrer dans le Rif, en raison de la cuisante défaite de l’armée espagnole face aux guérilléros d’Abdelkrim ( bataille d’Anoual ).
Les divergences entre Pétain et Lyautey ont conduit le gouvernement français à opter pour le plan de Pétain qui avait décidé de réutiliser tout le matériel ( d’artillerie et d’aviation ) qui avait été expérimenté pendant la guerre mondiale 1914 - 1918 . Comme tout cet arsenal n’avait pas suffi ( dans une première étape) à vaincre les guérilléros du Rif, Pétain et son état major décidèrent d’utiliser massivement les armes chimiques dévastatrices contre la population civile, et obligèrent ainsi Abdelkrim à arrêter les combats par souci de minimiser les pertes humaines et de se rendre finalement de son plein gré aux armées françaises.
Abdelkrim demeure pour toujours l’une des plus grandes figures (sinon la plus imposante ) du réformisme et de renouveau islamiques dans toute l’histoire du Maroc qui rappelle l’innovation et le projet ambitieux du grand dirigeant berbère almohade Ibn Toumert

De l’aveu des grands dirigeants de la libération révolutionnaire du 20ème siècle ( Mao Tsé Toung (NOTE 1) en Chine, Hô Chi Minh(NOTE 2) au Viet Nam ), Abdelkrim fut considéré comme le précurseur et le fondateur de la « guérilla nationale », qui avait servi de modèle organisationnel à la lutte populaire contre l’occupation coloniale dans beaucoup de pays anciennement colonisés. Comme il est resté gravé dans la mémoire des Indous qui étaient en lutte contre la colonisation anglaise, et fut évoqué comme tel par le grand guérilléros Che Guevara (NOTE3) dans son combat révolutionnaire latino-américain
Après sa libération ( au port du canal de Suez) par un commando de la Résistance du bateau français qui le transportait de Madagascar vers la France, il fut protégé et honoré par Jamal Abdennasser tout au long de son séjour en Egypte jusqu’à sa mort.
Au début des années 1950, étant président du mouvement de libération du Maghreb, il reprocha à Allal Elfassi et à Bourguiba de n’avoir pas tenu leurs engagements pour la libération de l’ensemble des territoires maghrébins ( y compris l’Algérie, les villes côtières marocaines, tout le Sahara, les Iles Canaries etc.), puisqu’ils avaient signé des accorts séparés d’indépendance (du Maroc et de la Tunisie) avec la France, sans se soucier de l’indépendance de l’Algérie et sans avoir libéré le sahara marocain, les villes du nord et les iles Canaries …
Quant ils se sont rendus en Egypte pour s’expliquer, il les traita de traitres tout en les congédiant de son bureau .
Les conséquences politiques à moyen et à long terme de cette déviation des représentants du mouvement nationale marocain et tunisien, par rapport aux visions lointaines de Mohamed ben Abdelkrim Alkhattabi sont gravissimes et incalculables :
Les peuples du Maghreb ( plus particulièrement du Maroc avec la complexité politique et le cout élevé de la récupération du Sahara ) auront à subir tragiquement jusqu’à aujourd’hui même les conséquences politiques et économiques d’un tel gâchis, qui écartait selon Abdelkrim Alkhattabi les grands objectifs qu’il avait définis au Mouvement National de la Résistance, dans le cadre de l’indépendance et de la construction du grand Maghreb, à savoir :
- la réalisation de l’indépendance totale et de l’unité du Maghreb, avant la signature de tout accord d’indépendance séparé ;
- la formation d’un système politique démocratique sous la responsabilité des représentants du Mouvement National de libération (avec le maintien d’un rôle symbolique de la monarchie marocaine dans le nouveau système politique)
- la mise à l’écart définitive de la tutelle politique française et de son emprise sur les économies du Maghreb ;
- la libération de l’ensemble des territoires anciennement colonisés ( de tout le Maghreb et en premier lieu l’Algérie, les Iles Canaries, le Sahara etc.)
- La rupture avec l’opposition à coloration idéologique (développée par les aristocraties au pouvoir à partir du 16ème siècle et consolidée par le Protectorat ) : Etat-«Makhzen» centralisée / tribus «Siba», pour une réhabilitation du patrimoine berbère à haute cohésion sociale fondé sur la démocratie locale, l’autonomie de gestion et la propriété collective
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NOTES

(NOTE 1) Mao Tsé Toung déclara devant les délégations arabes qui lui rendirent visite pour lui demander conseils : «Vous sollicitez des leçons de la Chine, alors que vous avez chez vous un héros dont nous nous sommes inspirés dans notre combat contre le colonialisme: Mohamed ben Abdelkrim Alkhattabi ;
(NOTE 2) Hô Chi Minh considéra Abdelkrim (dans une déclaration) comme « héros national et précurseur de la guerre populaire » ;
(NOTE 3) Che Guevara en visite au Caire en juillet 1959, avait insisté pour rencontrer Mohamed ben Abdelkrim Alkhattabi. Il voyait en lui le prédécesseur de la guérilla populaire.

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