mardi 4 septembre 2018



Le «séisme politique»(الزلزال السياسي) : un camouflet idéologico-médiatique hautement illusoire qui répond au crédo démagogique de «l’arbre qui cache la forêt»

Les normes du droit constitutionnel et de la sociologie politique, nous interpellent et nous permettent de développer l’analyse théorique de la manière dont les centres du pouvoir politiques eurent traité politiquement et médiatiquement les imperfections relevées et les responsabilités incombant aux ministères de tutelle des instances chargées de financer et d’exécuter le programme «Minarat Almoutawassit», telles qu’ils furent rapportées par la Cour de Compte :
-Les imperfections de gestion et les retards d’exécution de ce programme qui furent à l’origine de ce qu’on appela dans le jargon médiatique du pouvoir «le séisme politique» - الزلزال السياسي - (sans dépasser à notre avis un bas degré de la magnitude sur l’échelle de Richter), n’ont servi finalement qu’à la pénalisation théorique (en non à la mise en examen judiciaire) d’une poignée de cadres politiques de l’Etat, puisque les lobbys, les holding et les familles richissimes (hautement protégés) continuent de l’autre côté de savourer leurs privilèges au détriment de larges couches de la population marocaine… 

-Il faut noter au préalable que les explications rapportées par la Cour des Compte relatives aux imperfections de gestion et aux retards d’exécution du programme dit «Manarat Almoutawassit» sont élémentaires, alors que les décisions en matière de «sanctions» qui en découlent sont équivoques et paradoxales, reflétant ainsi des disfonctionnements et des perversions, voire des débordements extra-constitutionnels de l’exercice du pouvoir en parfaite symbiose avec la nature du régime politique
-Sans sombrer dans les détails assommants, nous assistons à un spectacle digne d’une pièce théâtrale shakespearienne, qui nous dévoile en premier lieu la dérive dangereuse anticonstitutionnelle du pouvoir politique, marquant le retour d’une «monarchie exécutive»(الملكية التنفيذية) qui fonctionnait en parfaite symbiose avec la logique de l’article 19 de la constitution de 1996, au dépend d’une possible "monarchie parlementaire" (الملكية البرلمانية) tant attendue et espérée par les forces vives de la nation (dont le Mouvement du 20 Février et leurs alliés) à l’occasion de l’élaboration de la constitution 2011;
-Nous assistons avec ces décisions de sanctions unilatérales à un véritable échec de la transition d’une monarchie absolue à une monarchie relative ou parlementaire. Avec l’emprise du Roi (en tant que président du Conseil du gouvernement) sur la politique générale du pays et le fonctionnement extra-institutionnel d’un «gouvernement bis» qui nous fait ressortir de temps à autre des "programmes" en déphasage avec la réalité concrète et la capacité budgétaire du gouvernement, nous assistons à la marginalisation de l’institution du gouvernement et du parlement au double niveau de l’élaboration des grands projets et du contrôle du suivi des différents chantiers qui les composent..
-En résumé, avec l’obligation de désigner les dirigeants de l’Etat au sein des partis politiques incompétents et bureaucratiques, la montée en puissance des lobbys et des holdings privés coiffés par une poignée de familles richissimes, l’affaiblissement de l’institution du gouvernement incapable de s’ériger en véritable instigateur de développement, la mauvaise gouvernance qui frappent les élus locaux et le retour du pouvoir absolue exécutif (marquant le retour de l’article 19 de l’ancienne constitution) épaulé par un gouvernement bis, la «boucle est bouclée». C'est l'immobilisme politique et l'aggravation des mouvements sociaux qui se profilent à l'horizon...
A ce niveau d’analyse structurelle et fonctionnelle, nous pouvons déduire que les réformes constitutionnelles de 2011 en matière de séparation des pouvoirs (Roi, gouvernement, parlement) deviennent obsolètes et sans effets sur la démocratisation et le développement économique du pays..
-Le grand paradoxe de l’exercice du pouvoir politique à relever à partir de cette décision royale de renvoyer et de «sanctionner» certains cadres de l’Etat est le suivant : la Constitution accorde au Roi (en tant que «garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire» -article 107- le droit de «mettre fin aux fonctions d’un ou plusieurs membres du gouvernement»(article 47) et d’exercer «le droit de grâce» (article 58), et considère que «les ministres sont responsables, chacun dans le secteur dont il a la charge.. »(article 93), et «pénalement responsables devant les juridictions du Royaume pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions» (article 94). Or, rien par contre, ne prévoit des sanctions explicitement bien définies à leur encontre à l’instar de celles qui ont été rendues publiques au lendemain de la remise du rapport entre les mains du Roi. Les juridictions évoquées à l’article 94 de la Constitution renvoient logiquement et en premier aux tribunaux du pays ;
-Plus gravement encore, aucune attribution n’est constitutionnellement prévue pour priver ou interdire les cadres concernés d’accéder à toute responsabilité publique dans le futur, à l’exception des décisions et des jugements établis par des juridictions spécifiques relatives à ce sujet…
- Rien n’a été précisé si le chef du gouvernement et les présidents des deux chambres du parlement (qui devaient obligatoirement recevoir le rapport de la Cour des Comptes conformément aux dispositions de l’article 148 de la Constitution), aient bénéficié du temps nécessaire pour en tirer les conséquences qui s’imposent avant et après la promulgation des sanctions décidée par le Roi. Il faut rappeler que les sanctions ont été rendues publiques immédiatement après la réception du rapport par le Roi. La déclaration médiatique officielle a seulement précisé que c’est le Roi qui a pris l’initiative de sanctionner les intéressés «après consultation avec le chef du gouvernement..». Un tel paradoxe reflète la vraie nature du régime politique et les marges de manœuvres possibles (voire des débordements) qui découlent de l’exercice du pouvoir politique dans le pays en parfaite contradiction avec l’un des grands principes de la démocratie moderne, à savoir le respect de la séparation des pouvoirs !;
-Rien ne figure dans le rapport qui établit et recommande d’éventuelles sanctions à l’encontre de personnalités explicitement citées : Les implications en matière de sanction ont été définies exclusivement par le Roi et son entourage. Elles posent de nombreux problèmes de méthodologie et de légalité quant aux liens juridiques légaux et légitimes entre la degré des imperfections relevées (négligence ou retard d’exécution) et la nature de sanctions très personnalisées à caractère spécifiquement moral et psychologique qui en découlent….
-Les décisions qui ont été prises à partir de ce rapport, s’inscrivent dans la logique de l’exercice du pouvoir qui consiste à n’émettre des sanctions qu’à l’encontre des personnes ayant failli à leur devoir en matière de gestion et d’exécution des programmes dont ils ont la charge, et non à l’encontre des personnes mêlées de près ou de loin aux malversations, aux opérations de détournement et d’usurpation d’argent public, de blanchissement et d’évasion fiscal etc.
-Les implications et les leçons politiques à tirer de cet événement unique depuis 1971 en comparaison avec le traitement qu’avait réservé Hassan II à la grande affaire de corruption dite «Panam» en 1971 : En effet, le Roi Hassan II avait fait preuve de fermeté dans l’affaire dite «Panam» américaine qui voulait investir dans un projet de construction d’un grand hôtel de luxe sur un terrain militaire situé au bord du jardin de la Ligue Arabe à Casablanca. Or, des responsables marocains avaient sollicité des pots de vin à la société américaine par l’intermédiaire d’un homme d’affaires marocain (Omar BenMasoûd) en échange de l’autorisation de ce projet. Finalement, 9 personnalités marocaines furent condamnées à des peines allant de 4 à12 années de prison ferme et d’amendes diverses, à titre d’exemples : Ministre du commerce et d’industrie (Mohamed Jâidi : 8ans de prison ferme et 5000 dhs d’amende) ; ministre du tourisme (Abdelkarim Halim : 4 ans de prison ferme et 9000 dhs d’amende) ; Directeur des Etudes minières et ancien chef du Cabinet de l’ancien chef du gouvernement Abdellah Ibrahim (Nasser Belârbi : 4 ans de prison ferme et 5000 dhs d’amende) ; Yahya Chefchaouni : 12 ans de prison ferme et 1000 dhs d’amende ; Mamoun Tahiri : 10 ans de prison et 10000 dhs d’amende ; Driss Belbachir : 4 ans de prison ferme et 5000 dhs d’amende ; Abdelâziz Benchekroun : 4 ans de prison ferme et 5000 dhs d’amende ; Omar Ben Masoûd (l’intermédiaire qui avait occupé plusieurs postes administratifs au début de l’indépendance) : 8 ans de prison et 9000 dhs d’amende . (jugement prononcé après la constitution d’un nouveau gouvernement présidé par Karim Alâamrani au lendemain du coup d’Etat de 1972 ).
La déduction à tirer de cette comparaison, nous permet légitimement de confirmer que Hassan II avait eu recours aux tribunaux du pays pour décider des sanctions à prendre à l’encontre des ministres impliqués (dans le cadre de l’ancienne constitution), alors que dans le cas de l’affaire dite «Manarat Almoutwassit», ce qu’on a appelé le «séisme politique» fut traduit en une série de pénalisations personnalisées (le renvoi de 5 ministres du gouvernement et l’interdiction pure et simple aux autres cadres d’accéder dans le futur aux postes de responsabilité dans le secteur public) excluant d’office toute procédure de mise en examen judiciaire des responsables concernés par l’affaire.
- A la lecture du rapport de la Cour des Comptes, nous ne voyons pas de lien de causes à effets procédural entre les imperfections rapportées par la Cour des Comptes et la nature des pénalisations qui ont été décidées et annoncées. Nous citons les conclusions les plus pertinentes de la Cour des Comptes en matière de détermination des responsabilités :
*La Cour estime que (je cite) « les disfonctionnements» relevés sont « dus essentiellement aux limites du mode de gouvernance » ;
*« Le Comité local de supervision n’a pas été en mesure de mobiliser les autres partenaires en termes de contribution effective et de réactivité. Il n’a pas non plus insufflé la dynamique nécessaire pour le lancement du programme sur des bases solides ». Il est à noter qu’en apparence, c’est le gouverneur en tant que président de ce Comité qui est responsable de ce manque de dynamisme..Alors que qu’on n’avait pas désigné de président explicite à la Commission Centrale du suivi..
*Plus gravement encore, (je cite) « le plan prévisionnel des projets et leurs budgets n’ont été évoqués pour la première fois que lors de la réunion de la Commission Centrale du suivi tenue en février 2017, soit 16 mois après la signature de la Convention »..Il fallait attendre la déclaration fracassante du président de la région Tanger-Alhoceima Elias EL'Ômari pour relancer officiellement l'enquête à propos de ce fameux programme dit "Alhaceima Manart Almoutawassit"...


*Le rapport déduit et détermine ainsi les niveaux de responsabilité, (je cite) « Or, au regard de l’importance de ce programme, le budget alloué, du nombre important des signatures et des délais de réalisation relativement courts, LE PILOTAGE DEVRAIT SE FAIRE AU NIVEAU DU GOUVERNEMENT ET DE LA COMMISSION MINISTERIELLE DU SUIVI A L’INITIATIVE DU MINISTRE DE L’INTERIEUR, et non au niveau du gouverneur, surtout durant la phase de démarrage… ;
A ce niveau, le MINSTRE DE L’INTERIEUR DEVIENT DE FAIT LE PREMIER RESPOBSABLE DE CETTE MAUVAISE GOUVERNANCE.. ;
*Sur un plan plus général, la Cour estime que (je cite) «Sur les 644 projets dans le programme, les réalisations en fin 2016 se limitent à 5 projets achevés (146,80MDH) et 45 projets en cours (565MDH) », soit environ 5% ... ;
*«la mise en œuvre du programme a connu un démarrage timide » ;
Ce sont là des conclusions à caractère général, et seule l’absence du « pilotage » qui devrait se faire selon le rapport « au niveau du gouvernement à l’initiative du ministre de l’intérieur » demeure significative et relativement grave, mais sans en décider d’éventuelles sanctions..
-Une lecture approfondie du rapport de la Cour des Comptes présenté médiatiquement comme une révélation miraculeuse nous permet de déduire qu'il ne comporte à notre avis qu'une simple description sommaire des imperfections de gestion du programme dit "Alhoceima Manarat Almoutawassit", dont la méthodologie d’analyse n’a rien à envier aux normes élémentaires du contrôle de gestion fortement et largement utilisé dans les pays capitalistes développés comme outil d’évaluation des projets.
- Les conclusions à caractère général, ont été limitées exclusivement au programme précité sans intégrer au travail d'investigation les imperfections de gestion des autres secteurs à problèmes et vitaux de la la ville d'Alhoceima, pour arriver enfin à corroborer subrepticement vis-à-vis du peuple marocain le crédo politico-légitimiste de ce qu'on appelle "l'arbre qui cache la forêt" ;
-Le rapport a permis de définir uniquement les responsabilités de mauvaise gouvernance et des retards d'exécution de ce programme avec ses aspects et ses secteurs multiples coiffés par les ministres signataires du projet concerné;
-Elles ne portent donc pas sur l'ensemble des problèmes de mauvaise gouvernance et des irrégularités de gestion locale qui sont à l'origine des phénomènes socio-économiques et culturels liés à l'exclusion, à la marginalisation des couches défavorisées de la population, à la pauvreté, à la mainmise d'une poignée d'aristocrates sur les richesses de la région du Rif concernant la pêche, les terres, l'immobilier, le domaine forestier et le commerce etc.
-Quant aux travaux des deux Inspections Générales de l’Intérieur et des Finances, il ne faut pas s’attendre à des grandes surprises en matière d’élaboration des imperfections et de la détermination des responsabilités, en raison de la complexité des problèmes de mauvaise gouvernance et de malversation financière qui s’accumulent depuis des décennies, à moins d’envoyer tout le monde en prison, puisqu’il n’existe pas de structures locales régionales et communales dans le pays qui est dirigée suivant les normes académiques de l’économie de développement et de la bonne gouvernance à l’instar des gestions transparentes et démocratiques en vigueur dans les pays développés.
-Cela dit, les responsables des grands problèmes complexes dont souffre le Rif, tel que le ministre qui coiffe le secteur de la pêche par exemple, à savoir Akhannouch échappent totalement et de fait aux sanctions établies et annoncées ;
-Sanctionner un technocrate comme Hassad qui a fait preuve depuis le règne de Hassan II de pragmatisme et de compétence à l’instar d’un professeur de médecine (Elwardi) qui a mené une gestion de rigueur optimale au ministère de la santé avec peu de moyens affectés à ce secteur d’un côté, et innocenter le premier responsable (Akhannouch) des gestionnaires "mafyouzis" du secteur de la pêche affilié au ministère de l'agriculture à l'origine de l'assassinat de Mohsine Fikri de l’autre, est un véritable gâchis ;
-Ce qu'il faut espérer de ces recommandations royales, est que les sanctions serviraient de leçons pour une catégorie de gestionnaires politiques locaux et nationaux, susceptibles de donner une dynamique à la gestion rationnelle et de bonne gouvernance des affaires locales et de créer une déontologie de l'exercice du travail politique dans le pays, en attendant bien sûr l'afflux des résistances des lobbys économiques, financiers et commerciaux (hautement protégés) qui ne sont et ne seront jamais atteints par d'éventuelles sanctions...Encore faut il espérer que les grands décideurs politiques arrivent à lier ces imperfections aux motivations légitimes des mouvements de Hirak Arrif, dont les instigateurs sont toujours en prison ! Nous espérons que les premiers décideurs politiques du pays fassent preuve d'imagination et de perspicacité en annonçant une libération sans conditions des principaux instigateurs de Hirrak Arrif, dont les revendications sont devenues légitimes depuis la reconnaissance officielle des liens organiques entre les problèmes sociaux économiques dont souffre la ville d'Alhoceima et les conclusions du rapport de la Cour des Comptes...
-Une opération d'épuration tous les dix ans, permettrait une mise à niveau des modes de gouvernance, susceptible de créer une dynamique de développement régionale, une réduction substantielle des inégalités et l'amorce d'une démocratisation relative et constructive dans le pays des miracles...Mais qui peut arrêter l'enrichissement exponentiel des riches, valoriser les compétences et instaurer l'égalité des chances entre les citoyens dans le pays des lobbys et des mentalités aristocratiques et rétrogrades ?
-Le caractère spectaculaire de l’opération permet de consolider la légitimité du régime politique, surtout si les décideurs en haut lieu acquièrent le courage d’achever le travail politique entamé par la libération des détenus dont les revendications furent à l’origine de l’éclatement en plein jour du scandale de «Manarat Almoutawassit». Une grâce royale en faveur de tous les détenus (espérée pour la fête de l’indépendance du 18 novembre) aura probablement un effet immédiat sur une grande majorité de la population marocaine (plus particulièrement dans le Rif) et sur les organisations de la société civile et des droits de l’homme qui ont soutenu jusqu’ici le Hirak Arrif ;
-L’épuration acquière un caractère dissuasif à deux niveaux :
*Elle relance une dynamique de gestion et crée une déontologie du travail au sein du secteur public ;
*Eu égard à la montée en puissance des mouvements politiques d’indépendance dans différentes régions du monde (La Catalogne en Espagne, le Kurdistan irakien en l’occurrence), l’opération d’épuration vise à donner un coup d’arrêt aux ambitions régionalistes et autonomistes portées par certaines associations «berbéristes» qui s’expriment plus particulièrement dans le Rif et le grand Sous… 

-L’opération demeure une innovation politique à caractère démagogique puisque elle a l’air de se présenter et de se reproduire jusqu’ici comme un camouflet des problèmes épineux et majeurs dont souffre la société marocaine, à savoir la concentration et la répartition des richesses du pays, la bureaucratie et le clientélisme administratifs, la mauvaise gouvernance des affaires nationales et locales, la marginalisation d’une grande partie de la population (constituée majoritairement de jeunes), l’exclusion des compétences nationales de la gestion du modèle de développement libéral dont profitent réellement une poignée de familles richissimes représentatives des grands lobbys économiques, financiers et commerciaux dans le pays(Ahmed SAIDY) ;

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