mardi 16 octobre 2018



A l'origine : la crise de la méthodologie et de la rationalité philosophiques :

Les chercheurs en sciences sociales et en philosophie de l’histoire, s’accordent aujourd’hui à croire à une crise des sociétés arabo-islamiques et à relever par conséquent les caractéristiques de leurs situations socio - politiques, en raison de leur retard par rapport à l’occident ( suite à l’avènement de la renaissance européenne depuis le 17ème siècle ), en matière de maîtrise des sciences et techniques, de conception de modèles spécifiques de développement économique et de formation de démocratie politique (Première évidence ) ;
Et puis, tout le monde affiche une certitude quant au décalage de nos sociétés actuelles par rapport d’abord à la « Khilafa Arrachidya(époque des « Khalifes bien guidés ») et ensuite à la dynamique de la renaissance arabo-islamique de l’âge d’or dans le monde sunnite: premières étapes des pouvoirs omeyyades en orient et en Andalousie et première phase du règne abbasside à Baghdad . ( Deuxième évidence ).
Mais, ce que nous ne pouvons pas admettre comme une évidence, c’est la façon dont on traite notre patrimoine (dans ses aspects philosophique, religieux et politique ), partant de la problématique de cette crise et de ce décalage de nos sociétés actuelles en comparaison avec, d’une part, le degré d’efficacité occidentale engendrée par la renaissance et de l’autre part, et les compétences pluridisciplinaires de nos dignes ancêtres ( Khalifes arrachidyounes, penseurs de Ilm Alkalam, grands philosophes d’Alkindi à Ibnou Khaldoun, grands penseurs scientifiques ..), de l’autre part.

Nous pouvons affirmer, que les imperfections sont à rechercher donc, dans la méthodologie d’appréciation, de conception, d’étude et d’application des principes philosophiques et moraux de notre patrimoine, qui se combinent à la façon dont on valorise l’Autre ( le dynamique et pragmatique occident ) qui a réussi à nous surpasser dans des domaines qui engendrent concrètement la dynamique du développement économique, la maîtrise des sciences et techniques et la création (quoi que progressive) des conditions socio – politiques minimales des droits humains, celles liées à la liberté de pensée, à l’instauration de l’Etat de droit et à une vie matérielle digne.
Croire aujourd’hui à une « crise » de notre patrimoine et à une « incompatibilité » avec la « modernité » et la « démocratie », c’est continuer à consolider les paramètres historiques et politiques qui sont à l’origine même de l’immobilisme multidimensionnel des sociétés arabo –islamiques.
Il s’agit certainement de crise de traitement méthodologique, d’appréciation et d’étude de notre patrimoine qui est au centre de la problématique de la nécessité de «renouveau» et de «reconstruction» de la pensée arabo-islamique, et non d’une crise du patrimoine lui-même
Il ne s’agit pas de sacraliser un attachement exclusif à ce patrimoine, et chercher toutes les solutions de l’immobilisme de nos sociétés dans un retour unilatéral aux «sources» sans s’ouvrir sur les sciences et techniques que nous offre le monde moderne, mais d’opter pour une nouvelle relecture rationnelle de la Connaissance islamique ( émanant d’une maitrise des sciences humaines et sociales ) et d’un réel dépassement des volets négatifs de ce patrimoine.

La méthodologie qui a dominé notre mode de réflexion et la façon dont on traite le patrimoine pour produire des solutions durables à nos problèmes d’immobilisme politique et de sous-développement socio-économique, consiste à écarter la Raison dans sa neutralité vis-à-vis de ce fameux patrimoine acquis et hérité du passé.
Ce mode de pensée a conduit donc à paralyser la liberté de pensée et à définir au préalable les conditions d’accéder à la Science en attendant que le crédo moral et religieux nous autorise à distinguer le bien du mal ( crédo hérité fondamentalement du dogmatisme fik’histe, de la généralisation de la religiosité conservatrice et étroite depuis Hanbal, la marche arrière d’Alachâri par rapport au Muâtazilime, le recul d’Alghazali par rapport à la rationalité philosophique et son choix du soufisme comme science exclusive islamique combinées ultérieurement avec le salafisme introverti engendré par l’interprétation fondamentaliste ( R. Réda, Elbenna, S. Kotb ) de la pensée d’Ibn Taymya..).
Depuis la mise à l’écart du Muâtazilisme et de la philosophie rationnelle, telle que celle d’un Ibn Roshd (Averroès), et l’adoption définitive (dans un esprit de vénération ) de l’orientation traversant le fameux axe théorique et historique :
Benhanbal -Alachaâri -Alghazali –Ibntaymya - R. Réda - Elbenna - M.Kotb, la pensée arabo-islamique ( qui n’est pas forcément celle qu’incarne la méthodologie coranique), est restée prisonnière d’un mode de pensée qui relative la Raison humaine et ne la valorise qu’en se référant à l’héritage juridico-moral retenu comme source exclusive de vérité et comme panacée universelle.
Plus précisément, si la laïcité (et non le «laïcisme» - العلماوية- dans sa forme intégriste actuelle tel qu’on le conçoit en Europe aujourd’hui donnant naissance à l’islamophobie), garantit la liberté de pensée, la liberté de culte, l’Etat de droit et une légitimité politique émanant exclusivement de la volonté populaire ), nous devons faire preuve d’autocritique, en affirmant que les représentants politiques officiels, les foukahas (notables juristes) et les islamistes salafistes, n’ont pas su jusqu’ à présent surpasser ces règles fondamentales et incontournables de la Renaissance occidentale, en établissant au moins les frontières entre l’islam en tant que foi et l’islam en tant que pensée politique et philosophique.
A cet échec, s’ajoute la conjugaison du caractère dogmatique du principe politique d’«d’obéissance à ceux qui détiennent le commandement » sans application préalable du principe de légitimation, et de l’extension excessive et imposante du fik’hisme (jurisprudence) dogmatiste (anti-ijmaâ - anti-consensus-) aux champs social et politique.
Ainsi, le principe coranique de l’Achoura (الشورى) et les résultats grandioses de l’ijtihad islamique sur la base de l’ijmaâ (Consensus ), se trouvent dévalorisés et même réduits à un système de commandement qui ralentit le recours à la Raison, suspend la liberté de pensée et exclut par conséquent la formation d’une démocratie proprement islamique.
Nous savons maintenant avec K. Popper qui a remis en cause d’une façon magistrale la méthodologie platonicienne ayant dominé la pensée philosophique et politique occidentale jusqu’à l’avènement de la philosophie des lumières, que le changement est lié essentiellement à la Raison, celle fondée sur les deux concepts opératoires de la démocratie et de la critique.
En effet, pour Platon, le changement engendre la décadence , la déliquescence et la dégénérescence des valeurs en présence, qui sont tout simplement acceptables et naturelles. Son historicisme consolide donc la culture comme donnée immuable de stabilité (préservation du statu quo ) et non comme paramètre de changement et d’ouverture sur le monde culturel et les Sciences.
Conséquence pour la conception du pouvoir arabo-islamique, tel qu’il a fonctionné depuis Muaâwya : elle est profondément et essentiellement platonicienne, en ce sens qu’elle est fondamentalement historiciste, et par conséquent incapable de s’ouvrir sur le monde extérieur et d’opérer des changements qualitativement importants, et de ce fait, elle est stationnaire en raison de la prédominance de la pensée théologique obscurantiste, de l’extension de l’espace culturel irrationnel et de l’adoption permanente comme règle de gestion (du monde de réflexion intellectuelle et du pouvoir politique ) du crédo théologico-politique fondé sur la primauté ( et sinon l’exclusivité ) de l’obéissance par rapport à l’innovation et à la critique.
Une telle orientation déviationniste a fait ainsi table rase des principes fondamentaux islamiques de l’Achoura et de l’ijmaâ (expression de la volonté de la communauté - ارادة الامة – et sources de la Justice sociale et politique) et de la Raison ( en tant qu ’outil d’unification et de réalisation de l’égalité entre les musulmans ).
Dans l’histoire de la pensée arabo-islamique, la théorie du changement a été d’abord conçue magistralement par l’Ecole Muâtazilite et mise en pratique partiellement par l’orientation « Kharijite » et a fait l’objet de théorisation ( sociologique et historique ) par Ibn Khaldoun, de même que la méthodologie qui consiste à poser la nécessité de l’autonomie de la «raison philosophique de la « raison religieuse » pour mettre la civilisation islamique sur la voie du développement rationnel et séculaire ( avant la Philosophie des Lumières), revient aux grands penseurs arabo- musulmans : Alkindi, Ibn Roshd et Ibn Khaldoun

La décadence comme produit de l’extension de l’espace irrationnel et obscurantiste de la pensée islamique.

L’une des règles méthodologiques de l’étude est la prise de conscience des restrictions , de la vision réductionniste et dogmatique que les instances religieuses et politiques officielles imposent à la définition de l’Islam.
En effet, les deux volets de « Ilm Alkalam islamique » qui furent développés dans le passé en dehors des « sciences divines » (« al’oûloum al’ilaya ») , ont été progressivement écartés de la formation de la pensée islamique depuis le 12ème siècle , à savoir :
- L’interrogation intellectuelle tout a fait naturelle sur le monde réel (autour de Dieu et de son existence, du Prophète , de l’homme et son devenir, des créatures ) au moyen de la philosophie et des sciences naturelles ;
- Le recours à la Raison (« Alâakl » ) pour expliquer cette même réalité complexe et trouver des réponses aux diverses questions posées dans la vie sociale et religieuse des musulmans.

Deux conséquences graves ( l'une sociale et l'autre politique ) se dégagent des restrictions portées par cette double vision réductionniste et dogmatique de l’Islam :
1- Elle engendre un système de culpabilisation générale se traduisant par un processus de « codification » de la vie des musulmans partant du caractère sacré et immuable accordé aux recommandations et jugements émanant du fik’hisme (jurisprudence dogmatique) ;
2- Elle impose implicitement et explicitement une grave censure, des limites à la liberté de pensée et contribue à la consolidation de l’immobilisme politique des sociétés arabo-islamiques.

Par rapport à ces conséquences et en raison de la permanence du caractère dogmatique d’une partie (suffisamment significative et imposante dans la vie sociale et politique des musulmans) des recommandations émanant des grandes Ecoles fik’histes (Ecoles juridiques), il est nécessaire de formuler quatre précisions complémentaires d’ordre méthodologique :
1- Le projet ambitieux de la « reconstruction » et du « renouveau » de l’Islam nous impose nécessairement le devoir d’avoir toujours présent à l’esprit ce qui différencie essentiellement (en rappel ):
+ la religion islamique ( Addine Al’islami) et :
+ la pensée islamique (Alfikr Al’islami) qu’espace évolutif et objet d’étude, d’investigation, de raison et de critique.
Les études critiques internes à la « pensée islamique » ( celles développées dans le cadre de Ilm Alkalam, la philosophie, la pensée réformiste islamiques etc. ), ont été conçues conformément et fidèlement à l’«unicité de Dieu» («التو حيد ») qui constitue l’essence même de la foi et non en dehors d’elle. Sauf Ibn Roshd, a eu le courage et le génie de réclamer haut et fort la nécessité de la neutralité de la Raison philosophique de la Raison religieuse (sans remettre en cause la conformité de la philosophie et de la religion), pour mettre la civilisation islamique sur la voie du développement rationnel et séculaire
2 - Au-delà de la permanence de ce volet restrictif et limitatif ( en tant que volet méthodologiquement essentiel du processus de la «codification» de la libre pensée ) de l’espace de la création et de l’innovation, c’est dans le cadre de l’axe théorique et méthodologique des grands fondateurs de la pensée conservatrice dite « salafiste », et de la formation du fik’hisme dogmatique, que furent forgées toutes ces confusions et toutes ces restrictions prédominant la pensée religieuse et politique islamique, comme nous essayerons de le montrer dans la présente étude ;
3- Partant de la méthodologie coranique, de la vision prophétique et de ses Compagnons et de la gestion sociale et politique des Khalifes Arrachidyounes, l’Islam s’est présenté (preuves à l’appui et sans aucun panégyrique ) fondamentalement comme défenseur du principe de la liberté de pensée.
Contrairement au statu quo officiel et aux visions conservatrices évoquées, l’Islam présente la méthodologie rationnelle (« Almanhaj alâakli ») comme étant fondamentalement compatible avec le système de croyance islamique et recommande même l’accès à la science (Al’îlm) comme un devoir qui s’impose à tout musulman et à toute musulmane.

4- Dans l’histoire des sociétés islamiques dite de « sécularisation » (de Muâwya à la fin du cadre politico-religieux du Khalifa ottoman à la fin des années 1920 ), les équations suivantes (combinant les paramètres théoriques complexes retenus dans cette étude), sont à notre avis tout à fait valables et vérifiables :
+ Islam / Primauté donnée à la Science et liberté de pensée parrainées par l’Etat - Défense et introduction de la pensée rationnelle en dehors du dogmatisme fik’histe - Ouverture, tolérance et rapprochement entre les peuples – Large consultation populaire, combinant large concertation ( Achoura ) et consensus (Al’ijmaâ) comme sources de légitimation du pouvoir politique =
RENAISSANCE : ( Annahda - النهضة)
+ Islam / Négligence de la science - Prédominance du dogmatisme fik’histe - Restriction des libertés - Refus de l’ouverture et pensée obscurantiste d’exclusion - Expansion de l’espace irrationnel et du soufisme assommant et de sainteté – mainmise du fik’hime dogmatique sur l’Etat - système Mulk et hérédité politique fondés sur la primauté de l’obéissance par rapport à la légitimation populaire du pouvoir politique = DECADENCE ) Al’inhitat الا نحطا ط-)
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