vendredi 5 avril 2019

Présentation générale:

A titre de rappel, l’histoire politique de l’Algérie depuis l’indépendance est une suite de coups de force politiques orchestrés exclusivement par l’Etat Major de l’armée en parfaite connivence avec l’aile conservatrice du FLN proche de l’armée, à savoir : 

-Septembre 1963, le premier président issu de l’indépendance Farhat Abbas est écarté manu militari par Ahmed Ben Bella qui décide ensuite d’assigner à résidence les grandes figures historique du FLN (Boudiaf et Aït Ahmed) avant de les pousser à quitter le pays.
-Juin 1965, coup d’Etat militaire orchestré par Boumédienne contre Ben Bella qu’il met pour longtemps en prison. 

-Février 1979, Chadli Ben Jdid devint président. Suite à ses décisions d’opter pour une politique d’ouverture qui devait déboucher sur l’organisations d’élections libres, il sera contraint de démissionner sous la la pression de l’armée avant de quitter le pays pour s’installer en exil au Maroc
-Janvier 1992, Boudiaf (en exil au Maroc) est appelé par les dirigeants du FLN pour assurer la présidence. Il sera assassiné six mois plus tard par l’un de ses gardiens après avoir exprimé son ambition de présenter devant la justice tous les dirigeants politiques et militaires qui ont participé au pillage des richesses du pays ;
- 1999, Après un court mandat présidentiel assuré par Zeroual sans réelles attributions, les puissants généraux (Nézar et Taoufik) décidèrent d’aller chercher Bouteflika en Suisse pour le désigner à la tête du pays. Suite à une vive «campagne de conciliation»-حملة المصالحة-, Bouteflika qui acquière une légitimité politique suite à cette campagne, réussit à déjouer la «crise noire» qu’eut connu l’Algérie depuis l’indépendance avec la montée du «terrorisme islamique» suite à l’annulation des résultats des élections législatives.
Depuis l’accès à la présidence de Bouteflika, les élites de l’armée n’ont jamais cessé de nourrir l’illusion d'un pouvoir civil et "démocratique" de façade (représentés efficacement jusqu'ici par Bouteflika et les fonctionnaires de ses gouvernements successifs) afin de reproduire durablement un régime totalitaire et despotique dirigé et incarné par une oligarchie qui contrôle l'essentiel des richesses du pays.
À notre avis, la cause majeure de l'immobilisme politique de l'Algérie réside dans cette incapacité de l'intelligentsia du pays (y compris les instigateurs du Hirak de 2019) à pouvoir comprendre que c'est bien l'armée (sous emprise totale d'une poignée de généraux) qui tire toutes les ficelles de l'évolution et de la crise politiques depuis le coup d'Etat militaire orchestré par Boumédiene en juin 1965.
Plus précisément, l'élite intellectuelle de l'Algérie (à l'instar de l'Egypte) est paradoxalement prisonnière d'une curieuse culture politique qui sacralise et divinise l'armée sans prendre conscience de la place centrale qu'occupe une poignée de généraux au sein de l'Etat Historique - الدولة العميقة- incarné aujourd'hui par Gaid Salah et son entourage. Ces richissimes généraux ne se sont pas contenté de cette alliance avec le centre du pouvoir politique, mais ils ont réussi à s'emparer progressivement de l'essentiel des richesses du pays en ayant une mainmise quasi-totale sur des lobbys économiques, commerciaux et financiers qui se dressent tragiquement comme de véritables obstacles structurels à toute politique de réforme de la société algérienne !!!!
Tout l'effort de Ahmed Gaïd Salah pour faire croire à l'opinion du pays que l' "armée populaire" est du côté du peuple, a pour objectif suprême de dissuader les mouvements du Hirak à admettre dans le cadre constitutionnel une douce transition sans une remise en cause majeure de la nature du régime politique et du caractère inégalitaire du modèle économique dont profite une poignée de familles richissimes du secteur privé et de l'armée !!!
Le vide politique et institutionnel engendré par le départ de Bouteflika conduirait inéluctablement à une situation à haut risque susceptible de mettre face à face le mouvement du Hirak d’un côté et l’armée sous emprise de l’ambitieux Ahmed Gaid Salah de l’autre. D’autant plus que ni le Hirak, ni l’armée ne sont en position d’acquérir l’attribution légitime de désigner les membres du Conseil présidentiel- المجلس الرئاسي- exigé par l’armée ou du Conseil constitutif –المجلس التاسيسي- revendiqué par le Hirak (en remplacement du président théoriquement démissionnaire) apte à parrainer la phase de transition, à adopter une nouvelle loi électorale, à superviser les nouvelles élections et à relancer des réformes constitutionnelles.
Sur le plan constitutionnel, le Hirak ne souffre pas seulement du manque de représentativité et de l'incapacité à élaborer un programme politique et économique alternatif au régime actuel, mais il n'arrive à opposer à la puissante armée (hautement pragmatique et sécuriste) que des aspects philosophiques de la Constitution portés par les articles suuvants: l'article 7 qui stipule que "Le peuple est la source de tout pouvoir..La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple", et à l'article 8 qui prévoit que "Le pouvoir constituant appartient au peuple.. Le peuple exerce sa souveraineté par l'intermédiaire des institutions qu'il se donne".

II-Rappel des éléments d’appréciation du régime politique algérien

Il s’agit d’un processus complexe de «relations privées» qui cohabitent avec les «relations publiques», qui développent des «rapports de clientèle» ou de parenté et favorisent une «interaction» entre les groupes d’intérêts et l’administration de l’Etat.
Cette symbiose des intérêts privés et des décisions des pouvoirs publics propre à certains PED, ne devient possible qu’en présence d’une combinaison d’un sous-développement économique (dont la facture est payée par les masses populaires ) et d’un «sur-pouvoir politique» garant de la stabilité sociale.
L’émergence d’une classe dominante érigée en classe dirigeante qui diffuse ses valeurs idéologiques au diapason des décideurs omnipotents du pouvoir central (Entourage du président + une poignée de généraux) suivant un système de pouvoir hégémonique autour des grands «groupes de pression» issus essentiellement de l'armée) et leurs alliés satellites amicaux et familiaux. La sociologie politique définit le «groupe de pression» comme étant un système organisé de défense d’intérêts et exerçant une pression permanente sur les pouvoirs publics dans le but de préserver et d’obtenir d’eux des décisions conformes avec leurs intérêts !
Plus précisément, il s’agit de la symbiose entre le pouvoir politique, la haute administration des armées et le monde des affaires.
A cette structure centrale, s’ajoute l’émergence des partis politiques à caractère bureaucratique autour du FLN incapables de s’ouvrir aux compétences nationales pour pouvoir jouer leur rôle primordial de producteurs d’élites nationales aptes à assurer une gestion de bonne gouvernance du pays.
Dans un article édité par MEDIAPART le 26 mars 2019, Nesroulah Yous résume la nature du régime algérien d’aujourd’hui :
« Pour certains analystes, ce n’est ni plus ni moins qu’une oligarchie de fait.. Pour d’autres, l’Algérie n’est plus une dictature militaire, mais un État policier à façade démocratique où les clans au pouvoir changent suivant les intérêts du moment. Des alliances se font et se défont entre, d’une part, la hiérarchie militaire, le DRS, le FLN et, d’autre part, le monde de la finance et les familles puissantes. Les personnes qui se partagent le pouvoir et par là même la rente pétrolière à travers la prédation et la corruption généralisées, finissent toujours par trouver des compromis pour sauver le système, quelles que soient leurs divergences, afin de préserver leurs privilèges. Les différends qui les opposent ne sont pas d’ordre idéologique ou politique, ils sont le reflet des luttes qui les opposent pour s’accaparer une plus grande part du gâteau de la rente générée par la dilapidation des richesses naturelles de l’Algérie. Cela se joue donc entre plusieurs sortes d’oligarchies en fonction des intérêts du moment. »

III- Un Hirak mal encadré et sans projet politique et économique alternatif :

*Les slogans et les revendications du Hirak visent exclusivement la classe dirigeante incarnée par le président Bouteflika au lieu de s’ériger en mouvement révolutionnaire susceptible de remettre fondamentalement en cause la classe dominante qui jouit de son emprise quasi-totale sur les richesses du pays, perpétue les inégalités et la pauvreté et consolide la dépendance de l’économie nationale du capitalisme impérialiste mondial et des multinationales.
*-A l’instar de tous les mouvements de l’Intifada arabe», le Hirak algérien souffre gravement d’un manque de projet politique qui s’appuie sur un modèle de développement économique alternatif susceptible de faire de l’Algérie un pays émergent à l’instar des pays qui ont su s’engager dans la voie de l’intégration maîtrisée et rationnelle dans la mondialisation et de la maitrise réelle des nouvelles technologies à l’instar de la Chine et des dragons de l’Asie en l’occurrence.
*-Le Hirak n’a pas exprimé jusqu’ici sa volonté de faire appel aux compétences nationales (désignées en dehors des élites politiques et militaires qui tirent leur légitimité de l’histoire révolue de la «résistance») formées dans les grandes institutions polytechniques et universitaires capables de bâtir un nouveau régime politique réellement démocratique et d’élaborer un modèle de développement économique qui tiendrait compte des richesses et de la diversité culturelle du pays , tout en permettant à la nation algérienne de s'intégrer rationnellement à la mondialisation économique et technologique de ce début du 21ème.             Sans faire preuve de pessimisme politique, nous pensons que le mouvement du Hirak algérien (qui montre jusqu'ici son incapacité à élaborer un programme alternatif au régime actuel et qui s'attache essentiellement aux aspects philosophiques de la Constitution) subira probablement le même sort dramatique qu'eurent connu tous les mouvements de l'Intifada arabe..

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