jeudi 30 avril 2020

Nous avons à recenser trois grandes tendances qui diffèrent fondamentalement au double niveau de la méthodologie d’appréciation de l’amazighité et de la définition des objectifs (culturel ou politique) assignés à leurs revendications, à savoir :
- La première est la plus enracinée dans l’histoire du Maghreb aux différentes étapes précoloniale, coloniale et postcoloniale jusqu’aux dernières consécrations constitutionnelles de la langue amazighe plus particulièrement en Algérie et au Maroc. Il s’agit d’une vision ethnocentriste et réductionniste qui a traité jusqu’ici l’amazighité comme un simple accessoire à caractère exotique et folklorique en opposition à la grandeur du patrimoine et de la civilisation arabo-islamiques, au lieu de l’appréhender en tant que volet identitaire, linguistique et culturel qui fait parti de la personnalité composite de la société maghrébine. Le programme incohérent de la chaine de télévision amazighe qui souffre dramatiquement du manque de méthodologie susceptible de réhabiliter et de préserver la culture amazighe, s’inscrit dans cette vision réductionniste (voire destructrice) de l’authenticité et de la spécificité amazighes.
- La deuxième tendance est radicale, voire indépendantiste qui cherche à inscrire la question amazighe dans un programme de revendication à caractère politique et «arabophobe», en se référant fanatiquement à un passé prestigieux des dirigeants amazighs tout en attribuant les effets dévastateurs sur la culture et la vie des communautés amazighes exclusivement aux seules expansions islamiques (الفتوحات الاسلامية) .
Certaines associations d’obédience régionaliste revendiquent la large autonomie, voire l’indépendance politique des régions à dominante amazighe tels que les mouvements de revendications issus du Rif et du grand Sous. Elles refusent de se contenter des seules revendications identitaires en se référant au droit international qui garantit aux peuples l’autodétermination et l’indépendance en dépassement du cadre national ou sub-national, voire au-delà de l’arabisme ou de l’islamisme. L’association rifaine dite «Dix huit septembre» installée en Espagne et qui suit les traces des mouvements indépendantistes catalans, est la plus radicale qui rejette tout compromis avec le pouvoir monarchique marocain.
A ce propos, nous avons le devoir de rappeler et de rétablir une «vérité historique et politique» que l’ensemble de l’intelligentsia marocaine n’arrive pas à appréhender à sa juste valeur en ç)ce qui concerne le cas spécifique du Rif et de la nature des contestations qui s’y développent depuis l’origine jusqu’à aujourd’hui, à savoir : Malgré tout ce que les populations rifaines eurent subi (dans leur ensemble) comme terribles répressions et injustes discriminations, partant de la colonisation (plus particulièrement au temps de la «République des Tribus Confédérées du Rif» et de la résistance de la décennie 1950) jusqu’à la fin du 20ème siècle, il n’existe pas un seul rifain dans le monde qui «pense séparation» de la région du Rif de la nation marocaine. Les contestataires indépendantistes (et non séparatistes) les plus radicaux ne projettent nullement de tourner le dos au peuple marocain à majorité amazighe, mais ils lient tout simplement leurs revendications politiques et identitaires à la nature du régime politique monarchique dont ils contestent la gestion politique jugée tantôt non démocratique, tantôt ingrate et discriminatoire à leur égard. D’autant plus, que ce sont incontestablement les Rifains qui ont toujours donné le meilleur exemple dans la lutte contre le colonialisme et pour la réalisation de l’indépendance du pays qui s’incarne dans les actions héroïques et historiques qui furent menées avec courage et conviction par Mohamed ben Abdelkrim Alkhattabi dans la décennie 1920 et les combattants de l’AL-Armée de Libération- (جيش التحرير) à la veille de l’indépendance.
L’objectif suprême qu’ils fixent fondamentalement à leurs actions et à leurs revendications est la réforme en profondeur de la société politique marocaine dans le sens d’une démocratisation culturelle, économique et politique !!!! (sans trop de commentaires)
- La troisième tendance qui définit les droits linguistiques et culturels des Amazighs comme faisant parti des revendications à caractère général pour la construction d’une société démocratique. Et qu’en dehors de la démocratie, la réalisation et la satisfaction de ces droits demeurent illusoires et utopiques. Pour les partisans de cette analyse, la consécration constitutionnelle et la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe est une étape importante vers la reconnaissance de l’amazighité en tant que langue, qu’identité et culture (كمرحلة للاعتراف بالامازيغية كلغة وهوية و ثقافة) qui doit contribuer à la réalisation des projets de développement économique et de construction de la démocratie dans le pays. Les revendications transnationales incarnées par le Congrès mondial Amazigh et l’Assemblée Mondiale Amazighe ont conduit jusqu’ici à une convergence des amazighités nationales autour d’une identité culturelle unifiée (illustrée au niveau du territoire dit Tamazgha) prônant des symboles tels que l’alphabet Tifinaghe et le drapeau amazigh.
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Sur un plan plus général, nous devons affirmer avec certitude que malgré les maigres résultats de l’enseignement de la langue amazighe, le discours officiel marocain sur l’amazighité suit théoriquement depuis quelques années une voie positive, alors que les prises de position constantes depuis l’indépendance des différents partis politiques (Istiqlal, USFP, PPS, RNI, PJD en l’occurrence) demeurent paradoxalement ultraconservatrices, voire ethnocentristes axées sur l’arabité.
Nous devons rappeler que le nouveau pouvoir sous l’autorité du Roi Mohamed VI, ait su parfaitement affecter la carte amazighe (الورقة الامازيغية) à des fins de consolidation de la légitimation politique à l’instar des trois grandes initiatives qui furent prises et exploitées dans ce sens, à savoir :
1- Initiative d’élaborer un nouveau code de la famille (مدونة الاسرة) pour créer de nouvelles conditions juridiques au statut à la femme marocaine ;
2- Initiative relative aux droits de l’homme cristallisée dans le rôle et les actions de la Commission d’Equité et de Conciliation (هيأة الانصاف و المصالحة ).
3- La consécration constitutionnelle de ces trois initiatives : *l’amazigh devient une langue nationale et officielle ;
* l’instauration de l’égalité entre les hommes et les femmes ;
* la mise à niveau des droits de l’homme avec les normes internationales.
A ces trois initiatives historiques, s’ajoutent les directives royales de lier l’amazighité au projet annoncé de développement, de modernisation et de démocratisation du pays inscrit (suivant le discours officiel) dans la «modernité»
La question de l’amazighité eut connu des changements théoriquement significatifs suivis des consécrations institutionnelle et constitutionnelle. Ils précédèrent curieusement les positions des partis politiques traditionnels qui étaient obligés de s’aligner à postériori sur ces grandes initiatives royales qui n’ont pas pu dépasser à leur tour le stade théorique et rhétorique, à savoir :
- la reconnaissance officielle de l’amazighité-الامازيغية- et l’inauguration de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) «chargé de la promotion de la culture amazighe et du développement de la langue amazighe»;
- la reconnaissance officielle de l’amazighe en tant que langue (- لغة-) au lieu de simples dialectes (- لهجات-) ;
- La reconnaissance officielle de l’amazighité en tant que volet culturel indissociable du patrimoine national appartenant à tous les marocains ;
- L’intégration de la question et des droits amazighs au processus et au projet démocratiques du pays ;
- la mise à niveau des prises de positions des différents partis politiques (très retardataires par rapport au discours officiel) sur l’amazighité.
- Et enfin, la consécration constitutionnelle depuis 2011 de l’amazigh en tant que «langue nationale officielle» -لغة وطنية رسمية- au même titre que l’arabe.
Parallèlement à cette évolution relativement positive du discours officiel, il faut relever aussi des avancées au niveau des revendications et des actions de la société civile et des mouvements associatifs qui s’ajoutent au travail d’organisation efficace du Congrès Mondial Amazigh (et de l’Association Mondiale Amazighe) qui fixa comme objectifs (*) :
-« la défense et la promotion des droits, politique, économique et sociaux, culturels et linguistique des Amazighes » ;
- « La défense et la promotion des droits individuels et collectifs des Amazighs » ;
- « La préservation du patrimoine historique et culturel amazigh »;
- la sauvegarde et la défense de la «liberté, la justice et la dignité pour le peuple amazigh
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*) Voir plus loin, les précisions sur la création, l’évolution et la division du CMA (Congrès Mondial Amazigh) : les mouvements de reconnaissance identitaires amazighs entre les contraintes d’organisation et les revendications linguistiques
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