mercredi 29 avril 2020

L’impact des grandes dynasties :

Les empreintes à multiples facettes (omeyyade, Kharijite, idrisside, soufie etc.) se sont conjuguées tout au long des douze siècles qui ont précédé la colonisation à une certaine vision dogmatique du pouvoir politique en islam (combinant idéologie aristocratie et féodale et malékisme conservateur hérité de l’époque almoravide) à l’encontre de l’Almohadisme rationaliste initié par Ibn Toumert et ses successeurs.
L’avènement de l’Almohadisme engendra un nouvel âge d’or arabo-islamique au Maghreb (début du 12ème à la fin de la première moitié du 13ème siècle Grégorien). Il fut la dernière tentative maghrébine de développer un islam non-obscurantiste susceptible de mettre les sociétés maghrébines sur la voie du développement rationnel et de la renaissance à l’instar de celle de l’Europe ;
Elles se sont combinées aux paramètres accélérateurs postérieurs de la décadence, qui eurent fondamentalement consolidé l’immobilisme politique et la stagnation économique au cours du règne des Saâdiens et des Alaouites. Parmi ces paramètres :
1-Les pressions et la pénétration étrangères antérieures au 19ème siècle ;
2-La perte du contrôle sur le commerce lointain ;
les dynasties Sâadienne et Alaouite fondées sur le système de gestion du pouvoir politique d’obédience omayyade fixaient comme objectifs exclusifs de l’Etat théocratique à partir du 16ème siècle jusqu’au 19ème siècle : l’indépendance territoriale du pays, l’emprise totale sur les activités économiques, l’instauration du monopole sur le commerce extérieur et l’accaparement de plus de terres en faveur des aristocraties makhzéniennes et commerçantes, à l’encontre des communautés paysannes amazighes, sans aucun soucis d’élaborer des programmes de développement, de prise en charge du social en faveur du peuple et d’ouverture sur les cultures et les Sciences.
Seul le Sultan Mohamed ben Abdellah (1757-1790) réhabilita (à titre exceptionnel dans l’histoire de la dynastie alaouite) la pensée orthodoxe wahabite, conçue et développée par le théologien saoudien de son époque Mohamed ben Abdelwahab, alors que Mlay Ismail –مولاي اسما عيل-(1672-1727) fonda un Etat centralisé dont les structures (Etat – Makhzen) survivront jusqu’au Protectorat français au début du 20ème siècle.
Les Alaouites continuèrent tout au long de leur règne d’imposer aux communautés paysannes et aux artisans un système de prélèvements sous forme d’impôts sans aucune contrepartie.
Il fallait attendre l’intervention française et le protectorat pour voir se développer la rationalité bureaucratique et administrative, l’immatriculation des terres et le découpage spatial en fonction des besoins de la métropole, engendrant ainsi la désarticulation de la société marocaine et la formation d’une économie dépendante et extravertie d’exportation.
Face à ces derniers assauts (sâadien et alaouite) à partir du 15ème siècle gr. Qui maintinrent ce type de pouvoir aristocratique jusqu’au protectorat en 1912, seules les communautés paysannes à dominante amazighe (fondées sur la démocratie locale, l’autonomie et la gestion collective du patrimoine) continuèrent de s’y opposer, jusqu’aux tentatives innovatrices d’Abdelkrim Alkhattabi au cours des années 1920 suivies de l’élaboration d’un programme de développement durable et autocentré initié par les dirigeant du Mouvement National au cours des années 1950.
Le Makhzen fut doté tout au long du pouvoir alaouite d’une armée relativement forte et articulée à une bureaucratie implantée principalement dans les grandes villes (armée et bureaucratie qui furent les produits de la régression d’un système de la Khalifat (le Sultanat) articulant commerce à longue distance et mode de production marchand fondé sur un faible développement des forces productives, tout en évoluant vers un «féodalisme bureautique, militaire et décadent»).
Cette armée fut durablement une nécessité absolue au Makhzen aussi bien pour se défendre contre les menaces extérieures, que pour opposer son autorité aux tribus à dominante amazighe qui ne reconnaissaient pas sa légitimité et son autorité.
*Toute tentative de l’Etat Makhzen de collaborer avec les puissances étrangères, en leur permettant éventuellement de s’implanter sur les territoires de l’empire, risquerait de provoquer les réactions violentes des tribus, et de renforcer les pouvoirs des chefferies et des Zaouïas sur ces même tribus, ce qui conduirait à la remise en cause de la légitimité du pouvoir makhzen et de son autorité politique.
Ainsi, l’Etat-Makhzen est resté pendant longtemps avant le XIXe siècle prisonnier, d’une part, de sa politique de gaspillage (nécessité de renforcer et de réorganiser l’armée et la bureaucratie…), et de l’autre part, de son incapacité à s’imposer réellement comme force étatique puissante à toutes les communautés paysannes à dominante amazighe (dont les intérêts étaient inconciliables, avec ceux des classes aristocratiques qui incarnaient l’Etat).
Ce grand tournant de l’évolution de l’Etat Magrébin dès le XIV siècle fut souligné en particulier par l’observateur direct de la société Maghrébine, Ibn Khaldun qui avait construit une théorie des cycles de la décadence.
Il faut souligner qu’Ibn Khaldun, tout en étant conditionné par l’évolution décadente des sociétés arabes, est l’observateur et en même temps le sociologue le plus rationnel et le plus matérialiste dans l’histoire de la société arabo-musulmane d’avant le 15ème siècle.
Il dénonçait le gaspillage et les prélèvements fiscaux très contraignants sur l’évolution économique des Etats , tout en mettant l’accent sur les causes externes de la décadence , telle que la réduction des revenus des Etats à la suite du tarissement des flux du grand commerce à distance, provoqué principalement par la perte du contrôle des routes de l’or et du commerce avec l’Egypte et le soudan…. Commerce qui était à la base de la grandeur des Etats arabes.

Ibn khaldun, dénonçait le monopole de l’Etat sur le commerce, « le souverain qui fait le commerce pour son compte, écrit il, nuit aux intérêts de ses sujets et ruine les revenus de l’état», tout en critiquant les classes marchandes citadines qu’il accusait d’oisiveté, et d’incapacité de se constituer en véritable « classes », en vue d’orienter le surplus à des fins d’intérêt de l’empire.
La critique d‘Ibn khaldun ne se limitait pas uniquement à des simples pratiques à caractère commercial ; il dénonçait aussi toute forme d’oppression et d’extorsion du surplus injustifié et pratiqué par l’Etat :
«Un gouvernement oppressif amène à la ruine de la prospérité publique (…) le déclin de la prospérité publique est une conséquence nécessaire de l’oppression et c’est l’Etat qui en pâtit. Il ne faut pas supposer que l’oppression consiste uniquement à enlever de l’argent ou une propriété à son possesseur sans un juste motif et sans un dédommagement… l’oppression a une signification beaucoup plus étendue : celui qui prend le bien d’autrui, qui lui impose des corvées, qui exige de lui un service sans y avoir droit, qui le soumet à un impôt illégal non autorisé par la loi sont des oppresseurs…ceux qui enlèvent de forces tout ce qui ne leur appartient pas sont tous des oppresseurs, et le mal qu’il font retombe sur le gouvernement, parce qu’en décourageant les cultivateurs, ils détruisent l’agriculture qui est la principale source de l’empire.»
(in YVES LACOSTE : « Ibn Khaldun » - Maspero – ) Voir aussi les textes d’IBN KHALDUN traduits par G.H.BOUSQUET : « Les textes sociologiques et économiques de la mugaddima » -Editions Marcel Rivier et Cie – 1965

Ce texte formule une manière d’expliquer le blocage des forces productives par l’instauration des différents rapports de domination et de dépendance personnelles autour du principal moyen de production : la terre
Ceci dit, Ibn khaldum avait certainement tendance selon Y. Lacoste, à privilégier les facteurs internes liés principalement au comportement et à la faiblesse de l’Etat dans le domaine économique par rapports à la cause externe dans son explication de la décadence : c'est-à-dire par rapport à la perte du commerce saharien et de l’or par les Etats maghrébins.
La société marocaine avait une structure bipolaire : D’un côté les propriétaires absentéistes et non-absentéistes, et de l’autre côté, les communautés paysannes qui étaient aussi propriétaires des terres collectives mais avaient une organisation politique et de production qui leur étaient propres.
Le maintien de ces rapports d’opposition entre ces deux pôles, ou ces deux grands propriétaires aux intérêts généralement inconciliables, constitue un nœud structurel dans la formation économique et sociopolitique maghrébine qui traverse son histoire et qui explique peut- être l’absence d’une bourgeoisie, depuis le XVIIIe siècle, malgré l’existence d’une aristocratie marchande».
De même que c’est « la solidité des structures tribales » qui a affaibli le pouvoir des souverains et rendu impossible l’asservissement de la population et sa mobilisation, malgré « les droits imminents







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