dimanche 3 mai 2020

Au fil du temps (période de l’indépendance), «l’amazighophobie s’est presque érigée en doctrine d’Etat» (Mohamed Chafik -محمد شفيق) 

1°) Première étape de l’indépendance : Maintien délibéré du caractère dialectal et euphémique de la langue amazighe

Les dirigeants du nouveau pouvoir issu du coup institutionnel de 1960, ne se sont pas contentés de la décapitation des mouvements de l’Armée de Libération (جيش التحرير) à dominanté berbère, mais ils ont délibérément mis en œuvre une politique linguistique d’arabisation qui exclut toute visibilité de la langue amazighe (considérée longtemps jusqu’au début de 2011 comme simple dialecte) au double niveau de l’enseignement et de l’espace médiatique, alors que la cohabitation de la langue française et de la langue arabe fut maintenue sans laisser aucune place à la berbérophonie au cours des cinquante premières années d’indépendance.
Les obstacles (d’ordre politique) dressés à l’usage et à la généralisation de la langue et de la graphie amazighes (Tifinagh) :
Le programme d’arabisation engagé au Maroc à partir des années 1970 aura des effets plus dévastateurs sur la culture et la langue amazighes. Les instigateurs de ce programme d’arabisation forcée et discriminatoire (à l’origine de la crise linguistique qu’eut connu l’enseignement au Maroc) voyaient dans l’occidentalisation et les revendications berbéristes les germes de la fracture identitaire et de la contestation politique. (Thèse idéologique conservatrice défendue plus particulièrement par le Parti de l’Istiqlal et le PJD).
Malgré cet ostracisme à l’égard du berbère, l’évolution des rapports de force a permis la promotion de l’amazigh au rang de «langue nationale» en Algérie en 2002 et au Maroc ensuite avec l’adoption de cet alphabet par l’Institut Royal de la Culture Amazighe au Maroc (IRCAM).
Il fallait attendre la Constitution de 2011, pour que l’amazigh trouve son statut en tant que composante du tissu socio-culturel de la société marocaine au même titre que la composante arabo-islamique.

2°) Deuxième étape : Les innovations de la constitution de 2011 entre la consécration de l’amazigh en tant que «langue officielle de l’Etat» et l’instauration d’une hiérarchisation linguistique en faveur de l’arabe

L’article 5 de la constitution de 2011 stipule que : «la langue arabe demeure la langue officielle de l’Etat...De même, l’amazigh constitue une langue officielle de l’Etat». Ce texte crée nettement la fracture entre l’arabe et l’amazigh, et définit explicitement l’amazigh comme UNE langue de second ordre.
Il est à rappeler que suite aux débats organisés autour de la constitutionnalisation de l’amazigh en 2011, une première version du texte rédigée et proposée par la Commission Consultative (dirigée par Mohamed Moâtassim) devait déboucher sur l’instauration d’une réelle égalité entre l’arabe et l’amazigh, si le Parti de l’Istiqlal et le PJD, n’eurent pas usé de leurs pressions dans le but de modifier significativement la seule phrase avancée et initialement proposée stipulant : «La langue arabe et la langue amazighe sont les deux langues officielles du Maroc». Elle sera définitivement remplacée par la phrase (instaurant une hiérarchisation linguistique en faveur de l’arabe) qui stipule : « La langue arabe demeure la langue officielle de l’Etat...De même, l’amazigh contitue une langue officielle de l’Etat» (article 5 de la constitution de 2011)
Malgré la promulgation en 2001 du dahir n° 1-01-299 portant création de l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), et la collaboration (en matière d’enseignement de la langue amazighe) entre cette institution (qui a pour rôle la réalisation des outils pédagogiques) et le Ministère de l’Education Nationale (chargé de l’insertion de l’amazighité dans le système éducatif), les programmes incohérents mis en œuvre pour instaurer l’égalité entre l’arabe et l’amazigh, ainsi que les vaines tentatives de la promotion de la langue amazighe dans la presse écrite, la radio et la télévision, ont conduit à des résultats médiocres, voire à un véritable fiasco.
Il est à préciser que le combat pour officialiser cette langue et la généraliser au niveau de toutes les régions du pays et de toutes les institutions d’enseignement publiques et privées, doit se poursuivre pour l’adoption d’une approche qui assure une réelle égalité linguistique entre l’arabe et l’amazigh, même si l’article 5 prévoie «Une loi organique» qui «définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel» de la langue amazighe, «ainsi que les modalités» de son «intégration dans l’enseignement» , d’un côté, et la création d’ «un Conseil national des langues et de la culture marocaine» (dont le fonctionnement n’a pas été concrétisé postérieurement) de l’autre.

3°) les problèmes posés et les obstacles dressés à la promotion et à l’enseignement de la langue amazighe

Il faut rappeler que l’enseignement du berbère (tamazight) fait partie du droit naturel à la reconnaissance identitaire des peuples amazighs dans leur ensemble répartis dans neuf pays de l’Afrique du nord et du Sahel. Le berbère compte parmi les 6700 langues parlées avant de faire partie des 200 autres langues parlées et enseignées dans le monde.
En Algérie, la forte mobilisation des enseignants et des étudiants en Kabylie («Printemps berbère») pour la reconnaissance de leur culture et de leur langue qui se combine au Mouvement culturel berbère (MCB), a conduit à l’officialisation de l’enseignement du tamazight à partir de 1995. la graphie Tifinagh a été mise à l’écart dans une première étape au profit de l’adoption d’une triple transcription en alphabet latin, arabe et Tifinaghe. La création du CNPLET (Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement de tamazight), créé par décret exécutif 03-470 du 02 décembre 2003, suivi par un arrêté interministériel du 25 février 2007, n’a pas débouché sur la concrétisation d’une collaboration avec les autres institutions intervenantes : le HCA (Haut Commissariat à l’Amazighité), l’Académie Algérienne de la Langue Amazighe ou le MEN ((Ministère de l’Education Nationale)) algérien.
Au Maroc, c’est le MEN (Ministère de l’Education Nationale) qui est chargé de l’insertion de l’amazighité dans le système éducatif ; l’IRCAM (Institut Royal pour la Culture Amazighe) a pour rôles la réalisation des outils pédagogiques, l’élaboration des programmes et la formation des enseignants avec le concours et l’aide des AREF (Académies Régionales d’Education et de Formation).
La collaboration entre l’IRCAM et le MEN se fait et se concrétise suivant un principe sur lequel se fonde l’enseignement de la langue amazighe qui considère que «La langue amazighe appartient à tous les Marocains sans exception» et qu’elle doit être « enseignée à tous, qu’ils soient berbérophones ou arabophones, dans toutes les écoles du royaume».
L’enseignement progressif de la «langue amazighe standard et unifiée» dans «ses structures phonologiques, morphologiques, lexicales et syntaxiques» fut l’un des objectifs de l’IRCAM.
Malgré ces perspectives théoriques et ambitieuses, l’enseignement de la langue amazighe (entamé depuis 2003) qui a provoqué d’importantes controverses politiques, s’est heurté à des difficultés majeures et à des obstacles quasi-infranchissables, alors que le bilan de l’enseignement est loin de réaliser les objectifs souhaités par l’ensemble des associations de défense de la culture et de la langue amazighes, et ce, pour les raisons suivantes :
- Absence de volonté d’intégrer l’amazigh et les Tifinaghs aux Nouvelles Technologies d’exploitation, d’Information et de Communication. Il est à rappeler qu’à l’ère de la mondialisation, ces technologies constituent des outils majeurs dans la survie, la préservation et la redynamisation de la langue amazighe à l’instar des autres langues utilisées dans divers domaines de connaissances et dans le monde professionnel. Comme elles peuvent contribuer à mobiliser les différents spécialistes de nombreux domaines (anthropologique, linguistique, informatique..) pour une gestion rationnelle des ressources linguistiques (terminologie, lexique, corpus) et d’établissement de bases de données susceptibles de contribuer efficacement à l’informatisation, à l’aménagement et à la structuration de la langue amazighe. Les structures mobilisées par les institutions de l’enseignement se limitent aux outils obsolètes, inefficaces et dépassés (manuels à papiers, supports et bâtons à craie pour écrire…)
- L’enseignement de la langue amazighe demeure non obligatoire et facultatif suivant la volonté des familles et des écoles ;
- L’enseignement de la langue amazighe se limite aux premières années de l’école primaire ;
- La déficience de la formation et le manque de qualification des enseignants, qui s’ajoutent à l’absence des centres de formation régionaux susceptibles de couvrir l’ensemble du territoire national;
- L’absence de motivation des enseignants (plus particulièrement des enseignements arabophones) ;
- Des manuels d’enseignement de la langue amazighe insuffisants et inadaptés ;
- Des problèmes d’ordre méthodologique et pédagogique : Des confusions ressenties par les élèves entre l’emploi de la norme scolaire du berbère enseigné et portée dans les manuels scolaires et leur pratique courante de leur langue maternelle dans leurs familles, d’autant plus que l’usage linguistique diffère d’une région berbérophone à une autre.






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